Utilisateur:PaulAnthilde

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Je suis étudiante du DESS en édition numérique de l'Université de Montréal (2020-2021). Dans le cadre du cours de Littérature et culture numérique donné par Marcello Vitali-Rosati, je me livre à des contributions régulières sur Wikipédia. Mon engagement dans ce DESS correspond à une reconversion partielle après quinze ans d'édition papier. Je développe sinon une collection de romans traduits de l'allemand au Quartanier Éditeur.

Compte-rendu d'expérience sur Wikipédia[modifier | modifier le code]

La conversion à Wikipédia, ou la rupture d’avec le luddisme de l’édition traditionnelle[modifier | modifier le code]

La découverte de l’hyperpanoptique[modifier | modifier le code]

J’évolue depuis quinze ans dans l’édition littéraire imprimée, où Wikipédia fait généralement l’objet de scepticisme, voire de rejet. Si je n’ai jamais adhéré à cette défiance, m’estimant insuffisamment documentée sur le sujet et donc impropre à me prononcer, je me rends compte, grâce à cet exercice de contribution, combien, parmi les éditeurs papier, est ignorée la gouvernance de Wikipédia, sa surveillance « hyperpanoptique[1] » (Firer-Blaess, 2007).

Un entourage d’érudits borgésiens devenus luddites[modifier | modifier le code]

Peut-être cette suspicion est-elle due à la fragilisation du cœur même de la maison d’édition traditionnelle qu’induit le principe de validation collective anonyme de Wikipédia : sa fonction de légitimation[2] s’en trouve ébranlée. Les éditeurs papier de mon entourage se pensent d’abord comme tamis et prescripteurs, érudits borgésiens, centralisateurs de l’apport de l’auteur, détenteur de la véritable expertise. Ils peuvent se faire luddites en dédaignant Wikipédia et ce qu’ils tiennent pour une pensée non étayée.

De l’athéisme à la conversion[modifier | modifier le code]

C’est ignorer cependant les systèmes de bots, de surveillance et de correction des articles par des milliers d’utilisateurs spécialistes. J’ai lu en son temps, soit 2007, La Révolution Wikipédia : Les encyclopédies vont-elles mourir ?[3], un brûlot préfacé par Pierre Assouline, car deux des cinq auteurs étaient d’anciens camarades de classe. Mais sur le mois et demi d’exercices requis ici, je me suis sentie glisser d’une neutralité d’athée à une « conversion numérique[4] » (Doueihi, 2011), sur la forme et sur le fond, indissociables, on le sait, en nourrissant des pages liées aux thématiques du cours Littérature et culture numérique: Python, humanités numériques, éditorialisation, scientométrie, Stewart Brand, gestion des droits numériques, algorithme, programmation informatique, THATCamp, OpenEdition Books, machine de Turing, Scikit-learn, etc.

Wikipédia comme hyperlittérature, ou l’herborisation épistémique de l’utilisatrice[modifier | modifier le code]

Mon quotidien d’assistante d’édition transposé en une promenade rousseauienne[modifier | modifier le code]

Milad Doueihi, justement, fait suivre son essai La Grande Conversion numérique des Rêveries d’un promeneur numérique[4], en un écho rousseauien[5]. Durant ces quarante-cinq jours de contribution, dans mes déambulations hypertextuelles, je me suis ainsi fait l’effet d’un Rousseau (en moins paranoïaque et moins brillant !), herborisant et glanant, servant la « perfectibilité » qu'il a théorisée. Wikipédia m’a fait revivre mon quotidien professionnel d’assistante d’édition non plus de manière « linéaire » mais « tabulaire[6] » (Vanderdorpe, 1999). J’ai procédé à des modifications et des ajouts non plus ligne à ligne, des pages 1 à 300 d’un livre imprimé, mais en suivant les ramifications d’une arborescence dessinée par ma curiosité et la circonscription du champ du cours : rédaction et restructuration de paragraphes, corrections orthotypographiques et syntaxiques, mises en forme (ici, Wikifications), discussions sur des points non pas avec l’auteur et mon patron mais avec des contributeurs sans visage.

Face à une subjectivité mondiale au cadre normé mais souple[modifier | modifier le code]

Cette absence de pyramidalisation du travail, de centralité référente m’a délivrée, en tant que sujet écrivant. Je m’en suis remise, avec confiance, à une « subjectivité mondiale[7] », telle que l’a définie Guattari, supérieure par son intelligence à l’expertise individuelle. Il en est ressorti une sorte de ludisme joyeux. J’ai été impressionnée par la combinaison qu’offre Wikipédia entre standardisation éditoriale – la connaissance aiguë des normes en termes de citations, de sources – et plasticité de ce cadre. Étonnamment, c’est l’outil de traduction, que j’ai utilisé pour traduire de l’allemand la fiche sur Friedrich Kittler, qui m’a semblé le moins abouti. Par exemple, il ne traite pas les citations intégrées, traduit en anglais les noms de personnes morales. Les progrès du machine learning, ou apprentissage automatique, me portaient pourtant à croire à davantage d’ampleur syntaxique dans le rendu, même si j’ai toujours gardé à l’esprit la nécessité d’une profonde révision.

Une hyperlittérature d’un réel multiple anidéologique[modifier | modifier le code]

Par sa fonction encyclopédique, Wikipédia tend à tout expliquer, à détailler l’entièreté du réel. L’idéologie recouvre la même fonction mais finit par clore le réel. La littérature, parce qu’elle est le lieu de la nuance et du mystère, demeure irréductible à l’idéologie. Elle est en cela l’inverse du cynisme, car elle laisse toujours la porte ouverte à la subjectivité nouvelle, surprenante, qui mettra en échec le cernement du réel. Même si les discussions révèlent des conflits idéologiques parfois véhéments en coulisse des pages au ton toujours objectif, Wikipédia fait donc selon moi figure d’hyperlittérature, en ceci qu’il ne cesse de progresser dans la transcription d’un réel mouvant, infini, à un point tel qu’il n’admet aujourd’hui aucun équivalent. Il chemine vers la totalité tout en repoussant les frontières de sa matière. Et cette entreprise génère sa propre poétique. Wikipédia deviendrait donc, plutôt que le fossoyeur de l’éditeur, comme le croient mes érudits borgésiens, son thuriféraire.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  1. Sylvain Firer-Blaess, « Wikipédia, modèle pour une société hyperpanoptique », Homo Numericus,‎ (lire en ligne)
  2. Benoît Epron et Marcello Vitali-Rosati, L’édition à l’ère numérique, Paris, La Découverte, coll. « Repères », , 128 p. (ISBN 9782707199355, lire en ligne)
  3. Pierre Gourdain, Florence O’Kelly, Béatrice Roman-Amat, Delphine Soulas, Tassilo von Droste zu Hülshoff, La Révolution Wikipédia: Les encyclopédies vont-elles mourir?, Paris, Mille et une nuits, , 144 p. (ISBN 9782755500516, lire en ligne)
  4. a et b Milad Doueihi (trad. de l'anglais par Paul Chemla), La Grande Conversion numérique, suivi de Rêveries d’un promeneur numérique, Paris, Seuil, Points, , 352 p. (ISBN 9782020964906, lire en ligne)
  5. Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, Paris, Flammarion, GF, , 240 p. (ISBN 9782081275263, lire en ligne)
  6. Christian Vandendorpe, Du papyrus à l’hypertexte : Essai sur les mutations du texte et de la lecture, Montréal, Boréal, , 272 p. (ISBN 9782890529793, lire en ligne)
  7. François Fourquet, « La subjectivité mondiale : Une intuition de Félix Guattari », Le Portique,‎ , « Gilles Deleuze et Félix Guattari : Territoires et devenirs », n° 20 (lire en ligne)