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Robert Olen Butler – Mon fils
Quoique je ne t'aie jamais vu, mon fils, ne crois pas que je suis incapable de t’aimer. Tu étais dans le ventre de ta mère quand le Nord de notre pays a envahi le Sud, certains de ceux qui étaient à la guerre se sont retrouvés mis en déroute. Je n'ai pas choisi de fuir, pas au moment où tu étais prêt à entrer dans ce monde. Je n'ai pas choisi de quitter ma patrie et de devenir américain. J'ai si peu choisi dans ma vie, à dire vrai. J'avais dix-huit ans quand Saïgon tombait et que tu rêvais encore au creux de ton petit océan à l'intérieur de ta mère, dans une chaumine de An Khê. Ta mère m'aimait alors, et je l'aimais, et je ne serais pas parti sinon que je n'ai pas eu le choix. Cela m'a toujours paru bizarre, bien que j'aie rencontré quelques personnes, ici où j'habite, à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, qui ont connu le même sort. C'est bizarre parce que je sais combien tant d'autres voulaient à tout prix s'en aller, quitte à se cacher dans le train d'atterrissage des avions au décollage. Quant à moi, je ne songeais pas à m'enfuir, je ne l'ai pas choisi, mais ça m'est arrivé quand même.
Robert Olen Butler - Un doux parfum d'exil (nouvelle : Dans la clairière) (New York, 1992, trad fr. Editions Payot & Rivages, 1994) (page 119)
s:octobre 2011 Invitation 1Paul Valéry – Les Pas
Paul Valéry (30/10/1871-20/07/1945) – Charmes (1922 - éd.Gallimard) |
s:octobre 2011 Invitation 2Albert Cohen - Le délire sublime des débuts Lettres. ô lettres des débuts, attente des lettres de l'aimé en voyage, attentes du facteur, et elle allait sur la route pour le voir arriver et avoir vite la lettre. Le soir avant de s'endormir. elle la posait sur la table de chevet, afin de la savoir près d'elle pendant son sommeil et de la trouver tout de suite demain matin, lettre tant de fois relue au réveil, puis elle la laissait reposer avec courage s'en tenait loin pendant des heures pour pouvoir la relire toute neuve et la ressentir, lettre chérie qu'elle respirait pour croire y retrouver l'odeur de l'aimé, et elle examinait aussi l'enveloppe, studieusement l'adresse qu'il avait écrite, et même le timbre qu'il avait collé, et s'il tenait bien collé à droite et tout droit, c'était aussi une preuve d'amour. Solal et son Ariane, hautes nudités à la proue de leur amour qui cinglait, princes du soleil et de la mer, immortels à la proue, et ils se regardaient sans cesse dans le délire sublime des débuts. Albert Cohen (16/08/1895-17/10/1981) - Belle du Seigneur (Gallimard, 1968), (Troisième partie, fin ch. XXXVIII, page 465, édition Folio) |
s:octobre 2011 Invitation 3Robert Olen Butler – Mon fils Quoique je ne t'aie jamais vu, mon fils, ne crois pas que je suis incapable de t’aimer. Tu étais dans le ventre de ta mère quand le Nord de notre pays a envahi le Sud, certains de ceux qui étaient à la guerre se sont retrouvés mis en déroute. Je n'ai pas choisi de fuir, pas au moment où tu étais prêt à entrer dans ce monde. Je n'ai pas choisi de quitter ma patrie et de devenir américain. J'ai si peu choisi dans ma vie, à dire vrai. J'avais dix-huit ans quand Saïgon tombait et que tu rêvais encore au creux de ton petit océan à l'intérieur de ta mère, dans une chaumine de An Khê. Ta mère m'aimait alors, et je l'aimais, et je ne serais pas parti sinon que je n'ai pas eu le choix. Cela m'a toujours paru bizarre, bien que j'aie rencontré quelques personnes, ici où j'habite, à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, qui ont connu le même sort. C'est bizarre parce que je sais combien tant d'autres voulaient à tout prix s'en aller, quitte à se cacher dans le train d'atterrissage des avions au décollage. Quant à moi, je ne songeais pas à m'enfuir, je ne l'ai pas choisi, mais ça m'est arrivé quand même. Robert Olen Butler - Un doux parfum d'exil (nouvelle : Dans la clairière) (New York, 1992, trad fr. Editions Payot & Rivages, 1994) (page 119) |
s:octobre 2011 Invitation 4Arthur Schnitzler – Au nombre des élus Cela ressemble à du fatalisme et n’en est pourtant point. Je ne crois pas à une providence qui se soucie du destin de chacun. Mais je crois que « certains êtres » existent, qui savent ce qu’il en est d’eux, même s’ils s’imaginent seulement, au mieux, le pressentir, qui prennent librement les décisions qui sont, pour eux, vitales, même lorsqu’ils pensent n’avoir été entraînés que par des événements fortuits et par des états d’âme, et qui sont toujours sur le bon chemin, même lorsqu’ils s’accusent de s’être trompés ou d’avoir manqué quelque chose. Bien sûr, tout cela ne compte pas pour moi, justement, j’aie le droit de me compter parmi ces quelques-uns ; mais comment devrait-on, comment pourrait-on seulement vivre, créer, et, parfois, jouir de la vie, si l’on ne s’imaginait pas être du nombre de ces élus ? Arthur Schnitzler - Une jeunesse viennoise (1920) (éd. Livre de poche Biblio, pages 471-472) |
s:octobre 2011 Invitation 5André Salmon – Ô mondes élargis de nos sages ivresses
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André Salmon (4/10/1881-12/3/1969) - La féérie perpétuelle (1907) (éd. Poésie/Gallimard, 1986) |