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Portail:Littérature/Invitation à la lecture/Sélection/janvier 2013

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Charles Péguy - Adieu à Domrémy

Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance,
Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas.
Meuse, adieu : j’ai déjà commencé ma partance
En des pays nouveaux où tu ne coules pas.

Voici que je m’en vais en des pays nouveaux :
Je ferai la bataille et passerai les fleuves ;
Je m’en vais m’essayer à de nouveaux travaux,
Je m’en vais commencer là-bas des tâches neuves.

Et pendant ce temps-là, Meuse ignorante et douce,
Tu couleras toujours, passante accoutumée,
Dans la vallée heureuse où l’herbe vive pousse,

O Meuse inépuisable et que j’avais aimée.

Charles Péguy (07/01/1873-05/09/1914) - Jeanne d’Arc (1897)

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s:janvier 2013 Invitation 1

Charles Péguy - Adieu à Domrémy

Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance,
Qui demeures aux prés, où tu coules tout bas.
Meuse, adieu : j’ai déjà commencé ma partance
En des pays nouveaux où tu ne coules pas.

Voici que je m’en vais en des pays nouveaux :
Je ferai la bataille et passerai les fleuves ;
Je m’en vais m’essayer à de nouveaux travaux,
Je m’en vais commencer là-bas des tâches neuves.

Et pendant ce temps-là, Meuse ignorante et douce,
Tu couleras toujours, passante accoutumée,
Dans la vallée heureuse où l’herbe vive pousse,

O Meuse inépuisable et que j’avais aimée.

Charles Péguy (07/01/1873-05/09/1914) - Jeanne d’Arc (1897)

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s:janvier 2013 Invitation 2

Stendhal – Julien

« Descends, animal, que je te parle. » Le bruit de la machine empêcha encore Julien d’entendre cet ordre. Son père qui était descendu, ne voulant pas se donner la peine de remonter sur le mécanisme, alla chercher une longue perche pour abattre les noix, et l’en frappa sur l’épaule. À peine Julien fut-il à terre, que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. « Dieu sait ce qu’il va me faire ! » se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son livre ; c’était celui de tous qu’il affectionnait le plus, le Mémorial de Sainte-Hélène.

Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. C’était un petit jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de l’expression de la haine la plus féroce. Des cheveux châtain foncé, plantés fort bas, lui donnaient un petit front, et, dans les moments de colère, un air méchant.

Stendhal (23/01/1783-23/03/1842) - Le Rouge et le Noir (1830) – ch. IV

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s:janvier 2013 Invitation 3

Kesako Matsui - L'étrange Katsuragi

La fille, elle, n'avait pas versé la moindre larme ni esquissé le moindre geste d'émotion. Elle continuait à marcher d'un pas assuré sans jamais se retourner.

Comme elle était originaire d'Edo et allait avoir quatorze ans l'année suivante, elle pouvait très bien comprendre ce qui l'attendait et être prête à tout. Mais cela me semblait quand même fort étrange. Quand bien même elle accepterait tout, ce serait par résignation ; or son visage ne reflétait en rien une telle résignation. Je ne dis pas qu'elle ait été ravie, mais elle ne ressemblait pas à quelqu'un qui se dirigeait vers une vallée de larmes.

Avec le vent soufflant sur la digue, le chemin était chargé d’une poussière blanchâtre. L'enfant ne faisait qu’avancer, affrontant les rafales, les paupières contractées et les lèvres serrées. Ce visage, je crois toujours le revoir. Alors, quand je l'ai vue à son premier cortège, en grande pompe, et puis quand j'ai eu la surprise d'apprendre l'affaire, c'est ce visage-là qui m’est revenu en mémoire.

Kesako Matsui Les mystères de Yoshiwara (éd originale au Japon en 2007, traduit du japonais par Didier Chiche et Shimizu Yukiko, éditions Philippe Picquier, 2011) (p. 245)

s:janvier 2013 Invitation 4

Colette - Empreintes

Mon enfance, ma libre et solitaire adolescence, toutes deux préservées du souci de m'exprimer, furent toutes deux occupées uniquement de diriger leurs subtiles antennes vers ce qui se contemple, s'écoute, se palpe et se respire. Déserts limités, et sans périls : empreintes, sur la neige, de l'oiseau et du lièvre ; étangs couverts de glace, ou voilés de chaude brume d'été ; assurément vous me donnâtes autant de joies que j'en pouvais contenir. Dois-je nommer mon école une école ? Non, mais une sorte de rude paradis où des anges ébouriffés cassaient du bois, le matin, pour allumer le poêle, et mangeaient, en guise de manne céleste, d'épaisses tartines de haricots rouges, cuits dans la sauce au vin, étalés sur le pain gris que pétrissaient les fermières... Point de chemin de fer dans mon pays natal, point d'électricité, point de collège proche, ni de grande ville. Dans ma famille, point d'argent, mais des livres. Point de cadeaux, mais de la tendresse. Point de confort, mais la liberté.

Colette (28/01/1873-03/08/1954) - Journal à rebours, La chaufferette, éd. Fayard 1941

s:janvier 2013 Invitation 5

Paul Éluard - La bonne neige

La bonne neige le ciel noir
Les branches mortes la détresse
De la forêt pleine de pièges
Honte à la bête pourchassée
La fuite en flèche dans le cœur
Les traces d'une proie atroce
Hardi au loup et c'est toujours
Le plus beau loup et c'est toujours
Le dernier vivant que menace
La masse absolue de la mort
La bonne neige, le ciel noir
Les branches mortes, la détresse
De la forêt pleine de pièges
Honte à la bête pourchassée
La fuite en flèche dans le cœur.

Paul Éluard (14/12/1895-18/11/1952) - Dignes de vivre, Éditions littéraires de Monaco, nouvelle édition revue et augmentée, 1944