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Portail:Littérature/Invitation à la lecture/Sélection/décembre 2010

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Pierre Louÿs, - La lune aux yeux bleus

La nuit, les chevelures des femmes et les branches des saules se confondent. Je marchais au bord de l'eau. Tout à coup, j'entendis chanter : alors seulement je reconnus qu'il y avait là des jeunes filles.

Je leur dis : “ Que chantez-vous ? ” Elles répondirent : “Ceux qui reviennent”. L'une attendait son père et l'autre son frère; mais celle qui attendait son fiancé était la plus impatiente.

Elles avaient tressé pour eux des couronnes et des guirlandes, coupé des palmes aux palmiers et tiré des lotus de l'eau. Elles se tenaient par le cou et chantaient l'une après l'autre.

Je m'en allai le long du fleuve, tristement, et toute seule, mais en regardant autour de moi, je vis que derrière les grands arbres la lune aux yeux bleus me reconduisait.

Pierre Louÿs (10/12/1870-1925) - Les Chansons de Bilitis (1894)

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s:décembre 2010 Invitation 1

Musset - Adieu

Adieu ! je crois qu’en cette vie
Je ne te reverrai jamais.
Dieu passe, il t’appelle et m’oublie ;
En te perdant je sens que je t’aimais.
Pas de pleurs, pas de plainte vaine.
Je sais respecter l’avenir.
Vienne la voile qui t’emmène,
En souriant je la verrai partir.[...]
Un jour tu sentiras peut-être
Le prix d’un cœur qui nous comprend,
Le bien qu’on trouve à le connaître,
Et ce qu’on souffre en le perdant.

Alfred de Musset (11/12/1810-1857) - Poésies nouvelles (1850) - Adieu

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s:décembre 2010 Invitation 2

Pierre Louÿs, - La lune aux yeux bleus

La nuit, les chevelures des femmes et les branches des saules se confondent. Je marchais au bord de l'eau. Tout à coup, j'entendis chanter : alors seulement je reconnus qu'il y avait là des jeunes filles.

Je leur dis : “ Que chantez-vous ? ” Elles répondirent : “Ceux qui reviennent”. L'une attendait son père et l'autre son frère; mais celle qui attendait son fiancé était la plus impatiente.

Elles avaient tressé pour eux des couronnes et des guirlandes, coupé des palmes aux palmiers et tiré des lotus de l'eau. Elles se tenaient par le cou et chantaient l'une après l'autre.

Je m'en allai le long du fleuve, tristement, et toute seule, mais en regardant autour de moi, je vis que derrière les grands arbres la lune aux yeux bleus me reconduisait.

Pierre Louÿs (10/12/1870-1925) - Les Chansons de Bilitis (1894)

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s:décembre 2010 Invitation 3

Anne Hébert - La neige

La neige nous met en rêve
sur de vastes plaines,
sans traces ni couleur
Veille mon cœur,
la neige nous met en selle
sur des coursiers d'écume
Sonne l'enfance couronnée,
la neige nous sacre en haute-mer,
plein songe,
toutes voiles dehors
La neige nous met en magie,
blancheur étale,
plumes gonflées
où perce l'œil rouge de cet oiseau.
Mon cœur,
trait de feu sous des palmes de gel
file le sang qui s'émerveille.

Anne Hébert (1916-2000) - Mystère de la parole, 1960 (in Œuvre poétique, 1950-1990, Montréal, Boréal/Seuil, 2004)


s:décembre 2010 Invitation 4

Antoon Coolen - L'enfant brisé

L'Ermite est tombé. Il crie une plainte aiguë, un gémissement martyrisé, à présent que, brisé dans l'âme, il enlace de ses bras le corps meurtri de l'enfant mort. Il est couché en biais sur le chemin avec la petite tête dans l'ornière, les yeux saillants, semblables à ceux d'un lapin qui dort, ouverts au large. Les petites jambes courbées, les bras étendus comme les bras d'une croix, les doigts écartés. Le petit cou, brisé, repose dans l'ornière ; une trace de sable est écrasée dans la chair bleue ; le menton est fracassé. Dans le sable de l'ornière le sang coule lentement en un mince filet le long des deux oreilles. L'Ermite enlace l'enfant des deux bras ; il le soulève. Il est là, debout, laid avec son visage sous les cheveux qui dégoulinent; il pleure à haute voix. Il penche la tête profondément ; dans la mort l'enfant regarde avec des yeux sans expression.

Antoon Coolen - La faute de Jeanne Le Coq (éd. Autrement littérature, 1995) page 168 - (réédition du roman d'Anton Coolen publié en 1931 et traduit du néerlandais en 1936 aux éd. Grasset sous le titre Le Bon Assassin, préface de Jean Giono)

s:décembre 2010 Invitation 5

Philippe Claudel - Le ciel s'effritait

La place de la gare était à l'image d'innombrables places de gares, avec son lot d'immeubles impersonnels serrés les uns contre les autres. Sur toute la hauteur de l'un d'eux, un panneau publicitaire affichait la photographie démesurément agrandie d'un vieillard qui fixait celui qui le regardait d'un œil amusé et mélancolique. On ne pouvait lire le slogan qui accompagnait la photographie - peut-être même d'ailleurs n'y en avait-il aucun ? - car le haut du panneau se perdait dans les nuages.

Le ciel s'effritait et tombait en une poussière mouillée qui fondait sur les épaules puis entrait dans tout le corps sans qu'on l'y invite. Il ne faisait pas vraiment froid, mais l'humidité agissait comme une pieuvre dont les minces tentacules parvenaient à trouver leur chemin dans les plus infimes espaces laissés libres entre la peau et le vêtement.

Pendant un quart d'heure, l'Enquêteur resta immobile, bien droit, sa valise posée à côté de lui...

Philippe ClaudelL'Enquête (éd. Stock, 2010) (incipit)