Manosphère

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La manosphère, au sein de la sphère masculiniste, désigne un ensemble de communautés en ligne où des hommes se retrouvent entre eux pour parler de leurs problèmes masculins et ouvertement revendiquer certains stéréotypes de genre et une haine des femmes[1],[2].

Ce mouvement et sa rhétorique anti-féministe se sont rapidement développés dans la bulle de filtres masculiniste de l'internet, et dans certains réseaux sociaux qui leur ont fait « chambre d'écho »[2], dont par exemple dans le Forum "Blabla 18-25" du site jeuxvideo.com[3] ou sur Reddit[4].

Céline Morin considère que la manosphère revisite et poursuit l’histoire déjà ancienne de l’antiféminisme. Après s’être opposé au droit de vote des femmes (années 1930), avoir dénoncé la contraception et l’avortement (années 1960), accusé l’injustice de la garde des enfants après le divorce (années 1980-1990), puis enfin disqualifié le « mariage pour tous », la construction sociale du genre et l’ouverture des droits reproductifs, l’antiféminisme dans sa version portée par les réseaux sociaux, se retrouve pour dénoncer l’idéologie d’une société qui à ses yeux est maintenant «gynocentrée», et où les intérêts des femmes comme des non cisgenres l’emportent sur le bien commun et réduisent à peu de chose le pouvoir des hommes qui maintenait la société[5].

Les mouvements vont jusqu’à produire et colporter des théories du complot où le féminisme ne recherche pas l'égalité des sexes, qui serait déjà atteint, mais le contrôle des hommes par les femmes[2]. Ils estiment fréquemment que les féministes pilotent les gouvernements (négligeant leur sous-représentation constatée dans toutes les fonctions électives)[6]. Il est fréquent que dans ces forums, sous l'influence de vidéos et théories du complot cette haine des femmes aille de paire avec un rejet des étrangers qui, par leur immigration ou leur taux de natalité, menaceraient l'identité "blanche"[6],[2].

Dans divers pays, certains de ces groupes misogynes, et souvent suprémacistes et haineux[7],[8],[9],[10],[11],[12],[13], ont lancé des attaques et harcèlements coordonnés contre des femmes Youtubeuses, bloggeuses ou des journalistes féministes ; certains de leurs membres ont été à l'origine de crimes[2]. L'organisation caritative britannique anti-extrémisme Hope not Hate a inclus la manosphère dans son rapport « State of Hate »[6].

Communautés[modifier | modifier le code]

La manosphère inclut au moins deux sous-communautés s'estimant vivre dans un monde gynocentrique qui favoriserait les femmes et aurait des préjugés contre les hommes ; ils se sentent particulièrement victimes d’une supposée « fémocratie » où les hommes seraient soumis aux femmes et au féminisme[6]. Ces deux communautés ont attiré l'attention en raison de faits d'apologie de la violence et d'usage de violence psychologique et/ou physique par certains de leurs membres :

La communauté incel[modifier | modifier le code]

Composée de célibataire misogynes et souvent haineux[14], dont plusieurs membres ont été à l'origine de tueries de masses comme la tuerie d'Isla Vista en 2014.

La communauté MGTOW[modifier | modifier le code]

Communauté les séparatistes masculins dits MGTOW (Men Going Their Own Way ou « hommes suivant leur propre voie », encore plus misogyne, antiféministe et haineux[15],[16],[2].

Histoire[modifier | modifier le code]

Le chercheur Manoel Horta Ribeiro et ses co-auteurs[17] observent qu'entre 2000 et 2020, les communautés de Pick-Up Artists (jeunes hommes souvent d'une vingtaine d'années, n'ayant pas réussi à établir de contact avec les filles à l’adolescence. se « vengeant » ensuite en multipliant les conquêtes d’un soir, certains présentant les femmes comme du prêt-à-consommer et à jeter)[18] et les militants pour les droits des hommes se sont radicalisées.

En 2020, ces deux communautés semblent dépassées par des communautés plus extrémistes comme les Incels et les Men Going Their Own Way, qui ont absorbé un nombre substantiel d'utilisateurs autrefois actifs dans des communautés plus « douces ».
Ces chercheurs suggèrent que ces communautés récentes, qui s'appuient souvent sur des théories du complot sont plus toxiques et misogynes que les anciennes[17]. Le sexisme étant condamné par les élites politiques et culturelles, l'exprimer fait en outre paraître rebelle et insurgé[6].

Idéologies politiques[modifier | modifier le code]

Se prétendant souvent apolitiques, les mouvements masculinistes, Incels et MGTOW en particulier, ont cependant été alternativement associés au libertarianisme de droite et à l'alt-right (extrême droite américaine)[8],[19]. Certains sont ouvertement violents, mais ceux qui ont des « discours policés, calibrés pour être plus socialement acceptables, sont souvent les plus insidieux. Ils s’enrobent de statistiques et de faits (il y a plus de garçons décrocheurs, plus d’hommes itinérants) détournés de leur sens pour mieux servir une thèse plus générale à coups de sophismes et de fausses équivalences »[18].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Sur les réseaux sociaux, la pensée masculiniste de la « manosphère » cible les jeunes adolescents », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  2. a b c d e et f Mascus: (infiltration chez) les hommes qui détestent les femmes, de Everprod ( filiale Elephant) (prod.) et de Pierre Gault (réal.), coll. « Francetv Slash enquêtes », 10 avril 2024, Documentaire en ligne sur Francetv Slash et sur la chaîne YouTube de Francetv Slash, 52 minutes [voir en ligne] [présentation en ligne]   déconseillé aux moins de 10 ans
  3. « Cyber-harcèlement : la polémique autour du site Jeuxvideo.com en cinq actes », sur Franceinfo, (consulté le ).
  4. (en-US) Arthur Goldwag, « Leader’s Suicide Brings Attention to Men’s Rights Movement », sur Southern Poverty Law Center, (consulté le ).
  5. Céline Morin, « Le renouvellement de l’antiféminisme dans la manosphère : idéalisation de la tradition et individualisme masculiniste: », Le Temps des médias, vol. n° 36, no 1,‎ , p. 172–191 (ISSN 1764-2507, DOI 10.3917/tdm.036.0172, lire en ligne, consulté le )
  6. a b c d et e (en) Helen Lewis, « To Learn About the Far Right, Start With the ‘Manosphere’ », sur The Atlantic, (consulté le ).
  7. Mack Lamoureux, « Le groupe d’antiféministes qui a banni les femmes de sa vie », sur Vice, (consulté le ).
  8. a et b (en) « The men who have sworn never to sleep with women again », sur The Independent, (consulté le ).
  9. « Les MGTOW ou la haine des femmes poussée à son comble », sur Slate.fr, (consulté le ).
  10. Marc-André Sabourin, « Voyage au cœur de la manosphère », sur L’actualité (consulté le ).
  11. « MGTOW, ces hommes qui détestent les femmes », 24Heures,‎ (ISSN 1424-4039, lire en ligne, consulté le ).
  12. « La nébuleuse masculiniste », sur LExpress.fr, (consulté le ).
  13. (en) Justin Caffier, « Here Are Reddit’s Whiniest, Most Low-Key Toxic Subreddits », sur Vice, (consulté le ).
  14. (en-US) « Male Supremacy », sur Southern Poverty Law Center (consulté le ).
  15. (en-US) C. Brian Smith, « The Straight Men Who Want Nothing to Do With Women », sur MEL Magazine, (consulté le ).
  16. (en-GB) George Harrison, « These men hate women so much they’ve sworn off sex and refuse to speak to them: Meet the 'Men Going Their Own Way' », sur The Sun, (consulté le ).
  17. a et b Horta Ribeiro, M., Blackburn, J., Bradlyn, B., De Cristofaro, E. et Stringhini, G., Long, S., Greenberg, S., & Zannettou, S., « The Evolution of the Manosphere across the Web. », Proceedings of the International AAAI Conference on Web and Social Media, vol. 15(1), nos 196-207,‎ (ISBN 978-1-57735-869-5, DOI https://doi.org/10.1609/icwsm.v15i1.18053, lire en ligne, consulté le )
  18. a et b « Hommes en colère », sur La Presse, (consulté le ).
  19. (en) Angela Nagle, Kill All Normies: Online Culture Wars From 4Chan And Tumblr To Trump And The Alt-Right, John Hunt Publishing, (ISBN 978-1-78535-544-8, lire en ligne).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]

  • Mascus: (infiltration chez) les hommes qui détestent les femmes, de Everprod ( filiale Elephant) (prod.) et de Pierre Gault (réal.), coll. « Francetv Slash enquêtes », 10 avril 2024, Documentaire en ligne sur Francetv Slash et sur la chaîne YouTube de Francetv Slash, 52 minutes [voir en ligne] [présentation en ligne] : « Autant prévenir : cette enquête risque de vous piquer les yeux et les oreilles. Après ça, et comme le suggère une intervenante dans ce documentaire, il va peut-être falloir regarder quelques vidéos de chatons pour se nettoyer la tête et retrouver un peu de sérénité. » Christophe Kechroud-Gibassier, Francetv, 10 avril 2024.

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