Grands travaux inutiles

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L'expression « grands travaux inutiles » (abrégée en GTI) désigne, depuis le milieu des années 1980, des réalisations de grandes infrastructures qui se sont avérées a posteriori (bien que parfois qualifiées comme telles par leurs détracteurs dès le début du chantier, voire dès l'annonce du projet) économiquement et/ou écologiquement aberrantes car inutiles, disproportionnés par rapport aux besoins ou excessivement coûteux. Les chantiers concernés, quand ils ne sont pas démolis, sont laissés à l'abandon (parfois dans un état d'inachèvement), sous-utilisés ou reconvertis. Les expressions « grands projets inutiles » et « grands projets inutiles et imposés » sont apparues au début des années 2010 pour désigner des projets en cours, dont l'utilité est remise en cause a priori par les opposants à ces derniers.

Histoire et terminologie[modifier | modifier le code]

Defossé et les « grands travaux inutiles »[modifier | modifier le code]

L'expression « grands travaux inutiles » est utilisée pour la première fois par le journaliste belge d’investigation Jean-Claude Defossé dans le programme homonyme diffusé sur la RTBF à partir de 1986, puis dans son ouvrage Le Petit Guide des grands travaux inutiles publié chez RTBF Édition en 1990.

Cette expression, qui désigne de grands chantiers n’ayant jamais été terminés, n’ayant pas atteint leurs objectifs ou dont l’utilité est contestée, a continué à être utilisée ensuite en Belgique, y compris par les néerlandophones, comme dans l’ouvrage Blijvende blunders : de grote nutteloze werken (1993) et sa suite Nog meer blijvende blunders (1996) du journaliste belge Douglas De Coninck. Les travaux inutiles ont été revisités par le journaliste Samy Hosni pour l'émission On n'est pas des pigeons sur la RTBF[1].

Les « grands projets inutiles (et imposés) » des années 2010[modifier | modifier le code]

Au tournant de la décennie 2010 émerge sur la scène médiatique française le projet d'aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes ainsi que la contestation qu'il rencontre. Il devient rapidement un symbole des projets jugés par les militants écologistes « inutiles » voire « imposés », tels que ceux – en France – du barrage de Sivens, de la Ferme des mille vaches ou de la ligne ferroviaire Lyon - Turin, lesquels rencontrent également une forte opposition[2],[3]. La notion militante de « grands projets inutiles » apparaît dans les médias (sous forme de citation)[4],[5],[6] et est également utilisée par certains partis politiques (EELV, PG, Parti pour la décroissance)[7],[8],[9]. Elle fait l'objet d'un ouvrage, paru en  : Le Petit Livre noir des grands projets inutiles[10],[11]. La notion, comparativement à celle de « grands travaux inutiles », est étendue à des projets qui ne concernent pas uniquement le domaine des travaux publics et des infrastructures ou des réalisations achevées.

L'expression « grands projets inutiles et imposés » (GPII) suppose quant à elle, de surcroît, une décision prise par le pouvoir politique en relation avec une technostructure, mais sans consultation démocratique des citoyens. Il existe un forum annuel des GPII – en anglais, Forum against Unnecessary Imposed Mega Projects (UIMP) – depuis 2011. Il s'est tenu successivement à Vénaux (dans le cadre du Forum social mondial, en Italie)[12], à Notre-Dame-des-Landes (France)[13], Stuttgart (projet ferroviaire Stuttgart 21, Allemagne)[14] et Roșia Montană (projet minier, Roumanie)[15]. En effet, l'opposition aux « grands projets inutiles et imposés », au cours des années 2010, s'est organisée à l'échelle européenne[4].

Selon Paul Ariès, « [la lutte contre les GPII s'inscrit dans la] longue histoire des résistances populaires contre ce que les puissants ont toujours présenté comme le progrès et qui n'est que l'organisation de la société, du monde, de la conception même de la vie au service d'une petite minorité »[16].

Début 2016, en France, une centaine de projets sont qualifiés de « grands projets inutiles et imposés » par les associations nationales de protection de l'environnement[17].

Liste de grands travaux inutiles par pays[modifier | modifier le code]

Cette section recense les constructions (inachevées ou non), non des projets jamais construits, qui ont été considérées a posteriori comme des « grands travaux inutiles ».

Autriche[modifier | modifier le code]

Belgique[modifier | modifier le code]

Une partie des grands travaux inutiles en Belgique (pays d'origine de l'expression) est potentiellement le résultat de la politique du gaufrier.

Canada[modifier | modifier le code]

Corée du Nord[modifier | modifier le code]

L’hôtel Ryugyong en 2004.
  • L’hôtel Ryugyong à Pyongyang, capitale de la Corée du Nord. Avec ses 329 mètres, cet hôtel était destiné à devenir l’un des plus hauts bâtiments du monde. Mais par manque de fonds, le chantier fut abandonné alors que le gros-œuvre de l’hôtel était terminé. Plusieurs années se sont écoulées entre l’arrêt de la construction et la reprise des travaux pour un achèvement effectif en 2012.

Espagne[modifier | modifier le code]

  • Arthur Byne, un représentant de la Hispanic Society of America, dans un de ses voyages en quêtes de « bric-à-brac » à acquérir pour les collections du musée, découvre en 1930, près de Burgos en Espagne les ruines d'un monastère cistercien décrépit, Santa María de Óvila. Il fait du monastère quelques croquis qu'il envoie à William Randolph Hearst, homme d'affaires américain, magnat de la presse écrite. Celui-ci ravi, décide d'acheter le monastère dans son intégralité, de le démonter et de l'envoyer en Californie afin de l'intégrer à son projet de château médiéval, « Wyntoon », dans les forêts du nord de la Californie, tout près de la rivière McCloud.
    La chapelle elle-même doit devenir une piscine de 150 m de long. Lorsque le monastère est acheminé dans onze bateaux, le coût estimé de la construction explose et va bien au-delà de ce que Hearst peut payer. La Grande Dépression achève de ruiner le projet. Les pierres sont un temps stockées dans des entrepôts qui subissent plusieurs incendies. Les pierres qui subsistent sont maintenant entreposées pèle-mêle dans le Golden Gate Park à San Francisco[22].
  • La centrale nucléaire de Lemoniz[23], dont la construction est abandonnée à la suite d'attentats
  • De nombreuses constructions décidées dans les années 2000[24], dont l'aéroport de Castellón-Costa Azahar, inauguré en et surnommé localement le « premier aéroport piétonnier du monde ».

États-Unis[modifier | modifier le code]

  • La centrale nucléaire de Bellefonte dont les travaux débutés en 1975 sont interrompus en 1988 après que cinq milliards de dollars ont été dépensés[25]. Elle est rachetée fin 2016 pour 111 millions de dollars pour une entreprise qui veut terminer le site en investissant 13 milliards de dollars[26].

France[modifier | modifier le code]

Le château de Maintenon vu à travers l'aqueduc
  • L'aqueduc de Maintenon est un ouvrage d'art inachevé franchissant la vallée de l'Eure. Il fait partie du Canal de l'Eure, de Pontgouin à Versailles, commencé sous Louis XIV dans le but d'alimenter en eau le château de Versailles. Commencés en 1686, les travaux seront abandonnés en 1689 en raison de l'entrée en guerre du Royaume.
  • Le SK de Noisy-le-Grand devait relier la gare RER à un quartier d'affaires jamais construit à quelques centaines de mètres de là à la suite de l'abandon de la promotion immobilière. La station arrivée a été détruite en 2018 lors de la construction d'un projet immobilier, ce métro de type SK n'aura donc jamais servi. Un projet de reconversion de la gare RER du SK en lieu de vie est en cours.
  • Le projet de Grand Abattoir de La Villette à Paris (une partie de la structure en béton longtemps vide a cependant servi pour la construction de la Cité des sciences)[réf. nécessaire].
  • Dans le métro de Paris : les stations inachevées ou pas construites Haxo, Porte Molitor, Orly-Sud, La Défense - Michelet et Élysées La Défense, principalement pour des raisons économiques.
  • Le parc Barbieux, situé à Roubaix, doit son origine à un ambitieux projet des années 1840, consistant à creuser un canal à partir de Roubaix pour relier la ville à la Marque. Différentes difficultés techniques liées à la topographie conduisent à son abandon. En 1859, Henri-Léon Lisot imagine de remplacer les terrains laissés par les débuts du chantier du canal par un parc urbain. Ce dernier en garde aujourd’hui un caractère très vallonné.
Le viaduc des Fauvettes sur la ligne Paris-Chartres par Gallardon

Haïti[modifier | modifier le code]

  • La Tour 1804 construite pour commémorer le bicentenaire de l'indépendance haïtienne au Champ de Mars à Port-au-Prince. Les travaux ont cessé début 2004 avant qu'elle ne soit achevée[30].

Pays-Bas[modifier | modifier le code]

Ukraine[modifier | modifier le code]

Références[modifier | modifier le code]

  1. RTBF Info – Le Journal des travaux inutiles.
  2. Angela Bolis, « Notre-Dame-des-Landes : la convergence des luttes », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  3. « Les autres luttes contre des projets «inutiles» réunies à Notre-Dame-des-Landes », Le Figaro,‎ (lire en ligne)
  4. a et b « Aéroports, TGV... Y a-t-il des projets "inutiles"? », sur franceculture.fr, France Culture, (consulté le )
  5. « Tour de France des "grands projets inutiles" », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  6. Alain Devalpo, « L’art des grands projets inutiles », Le Monde diplomatique,‎
  7. « Les grands projets inutiles », sur eelv.fr (consulté le )
  8. « Notre-dame des Landes, un projet inutile et autoritaire ! », sur lepartidegauche.fr, (consulté le )
  9. « Archives de la catégorie : Grands Projets Inutiles et Imposés », sur partipourladecroissance.net (consulté le )
  10. Camille (nom du collectif de rédaction), Le Petit Livre noir des grands projets inutiles, éditions le passager clandestin (ISBN 978-2-36935-002-6).
  11. « Grands projets inutiles », France Culture, (consulté le )
  12. AFP, « Forum européen contre les "Grands projets inutiles imposés" du 7 au 11 juillet », Le PArisien,‎ (lire en ligne)
  13. AFP, « A Notre-Dame-des-Landes, des Européens réunis contre les "projets inutiles" », 20 minutes,‎ (lire en ligne)
  14. Rémi Barroux, « Troisième rencontre européenne des militants contre les "projets inutiles" », Le Monde,‎ (lire en ligne)
  15. Barnabé Binctin, « L’Europe ? Elle est à Rosia Montana… contre les grands projets inutiles », Reporterre,‎ (lire en ligne)
  16. Paul Ariès et les Z'indignés, Anti-extractivisme et lutte contre les Grands projets inutiles, éditions Golias, 2012
  17. « Zones à Défendre : les aménageurs face à une nouvelle contrainte », sur www.lagazettedescommunes.com, (consulté le )
  18. AFP - 31 mars 2011 :« Autriche: visite d'une centrale nucléaire jamais utilisée ».
  19. « Gentilly-2 - La fin de la saga nucléaire québécoise », sur Le Devoir (consulté le )
  20. « La partie abandonnée de l’îlot Voyageur intéresse Montréal », sur TVA Nouvelles,
  21. « L'éléphant blanc d'Hydro-Québec », sur Radio-Canada,
  22. Unbuilt America, forgotten architecture of the United States from Tomas Jeferson to Space Age. A site book by Allison Sky and Michelle Stone. Abeville Press. Publishers. New York.1983
  23. « La centrale fantôme de Lemoniz », Sud Ouest, 18 avril 2011.
  24. Elodie Cuzin, [1], 07/01/2012
  25. Raphaël Moury, « Une centrale nucléaire à vendre en Alabama pour 32 millions d'euros », sur Le Figaro, (consulté le ).
  26. (en) Gattis, Paul, « Bellefonte nuclear plant sold for $111 million at auction, company plans $13 billion investment », Alabama Media Group,‎ (lire en ligne, consulté le )
  27. Voir sur histoiredurail.free.fr.
  28. a et b « Les Fauvettes, viaduc du train fantôme », sur leparisien.fr (consulté le )
  29. Mairie de Limours
  30. « Tour 1804 », sur routard.com (consulté le )
  31. Skynet les grands travaux inutiles
  32. Huffington Post video centrale nucléaire crimée abandonnée

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Camille, Le Petit Livre noir des grands projets inutiles, éditions Le passager clandestin, 2014 (ISBN 978-2-36935-002-6).
  • Paul Ariès et les Z'indignés, Anti-extractivisme et lutte contre les Grands projets inutiles, éditions Golias, 2012 (ISBN 978-2-35472-195-4)

Articles connexes[modifier | modifier le code]