Discussion:Three Imaginary Boys

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Francis Dordor dans BEST n°132 de juillet 1979[modifier le code]

Je ne sais pas exactement ce qui m’amène si subitement à vous torpiller mon enthousiasme en pleine figure avec le premier album de La Cure. J’avais pas encore réalisé à quel point le trio de Crawley, Sussex, portait judicieusement son nom. J’avais pas senti l’étonnante envergure des chansons de Robert Smith. Je m’étais juste fié à mon intuition et aux séditieuses énigmes jalonnant leur elliptique odyssée et la façon dont ils s’exposent, sans intrusion, avec une retenue sybilline, laissant le cycle insaisissable des alizés intimes tamiser leurs bactéries musicales. Et une fois que le virus vous tient, vous ne pouvez vous arrêter en chemin, il vous faut le consommer intégralement. Emotions distillées. Acupunkture. Les gens de The Cure et en particulier Robert Smith, celui qui cisaille tout au long des deux faces et avec le seul soutien d’une guitare des climats au lyrisme philtré, délicatement angoissant, font une troublante offensive sur le quotidien. Ils font poser, pour la pochette, trois éléments parfaitement anodins, d’une insignifiance inouïe tant ils appartiennent à l’aspect trivial de la réalité quotidienne. Le jeu de The Cure est de les réunir dans ce décor d’un rose éblouissant et de leur rendre ainsi un soupçon de magnétisme et de séduction. Cette pochette est belle sans que l’on sache pourquoi. Et c’est bien la seule embardée intellectuelle que s’est permise le groupe. Car, grand dieu, non, The Cure n’a rien d’une entreprise prétentieuse et narcissique comme l’a laissé sourdre le second album de Magazine. Cet album est brillant et intelligible parce qu’il repose pleinement, magnifiquement sur une vision émotive et dont il est ici le vigoureux générateur. Les morceaux ne portent pas de titres et la pochette est purement et simplement dénuée de toute information. Certaines des plages sont toutefois aisément reconnaissables, le «10.15» qui figurait en B.side du simple «Killing An Arab», «Accuracy» et «Fire In Cairo», trois injections de bonheur indéfinissable. La musique est d’une fragilité saisissante, comme le sont sans doute Robert Smith et les deux autres, elle n’est pas du tout impressionnante et ne cherche pas à l’être. C’est presque une miniature de porcelaine résistant à un tremblement de terre. Cette sensibilité enfantine, ce spasme juvénile qui couve à l’intérieur est essentiel !


Philippe Manoeuvre dans Rock & Folk , 1979[modifier le code]

Ça va. Je sais que c'est facile de réussir un premier album. Mais vous me direz que vous n'avez pas que ça à faire. Que ces gens vont se dissoudre sous peu. Qu'ils vendent des broutilles... Les Cure ont voulu jouer la carte du modernisme à fond les manettes. Pochette nébuleuse, brouillage volontaire des pistes... Les Cure sont un trio. Sur leur pochette, on voit donc un trio d'appareils ménagers, aspirateur, réfrigérateur, lampe de chevet. Et le disque est à l'avenant. Des Jam bourgeois. Si leur bassiste n'a de leçons à recevoir de personne, le batteur est assez affligeant. Ils reprennent le "Foxy Lady" de Jimi Hendrix, assez paresseusement. Le guitariste, pourtant, au milieu de cet album contraint, bridé, ligoté, parvient à tirer de son instrument de forts beaux sons, bizarres, comme ceux que l'on entend sur les vieux disques des Thirteenth Floor Elevators. On aurait aimé pourtant qu'ils retrouvent ici la verve hargneuse de leur mythique premier single, "Killing An Arab". Oui, inutile d'écrire tes lettres de protestation contre les punks racistes, Geneviève. Il s'agissait en ce cas d'une adaptation musicale de "L'Etranger", faite avec une force bestiale. C'est ça, retourne lire Camus, Geneviève. Tu écriras aux Droits de l'Homme après. En tout cas, ils n'ont pas osé le remettre ici et on se demande bien pourquoi.

Jérôme Soligny dans Rock & Folk hors série n°11 300 Disques Incontournables 1965 1995[modifier le code]

Avant d’être arrogants, compliqués, habillés trop large, coiffés ébouriffés, les Cure étaient comme les autres habitants de la planète Terre : réservés, simples, la mise soignée, la raie bien au milieu. Non, c’est pour rire. Mais, puisqu’on l’a oublié en 95, rappelons aux plus jeunes lecteurs, qu’avant d’être comme ils sont aujourd’hui, Robert Smith et son groupe ont été, eux aussi, jeunes. Très jeunes, même. Pour ainsi dire, des gosses. En ces temps reculés (1979) où, sans être pour autant carrés, les disques étaient plus grands et plus noirs, les Cure enregistrèrent même un excellent premier album, chose qu’ils seraient bien incapables de refaire à présent (un premier disque, s’entend). C’est Chris Parry qui les repéra le premier à cause d’une de leurs chansons, inspirée par Albert Camus, “Killing An Arab”. Impressionné par leur son et le charisme du chanteur, il les signe vite fait, sur Fiction, son label. Il sort “Three Imaginary Boys” quelques mois plus tard, et on s’aperçoit que Cure est déjà un grand groupe. Leur démarche, allumée-intello, leur approche, de récifs en récifs, leurs arrangements, qui ne craignent pas le tangage, sont à rendre fou, mais ces mecs inventent, façonnent, modèlent. Leur punk rock mélodique, ils le rouent de coups, leurs instruments, ils creusent avec, et lorsqu’ils appréhendent un refrain ou une partie instrumentale, c’est haletant comme des enfants qui s’apprêtent à dessiner un monstre. “10.15 Saturday Night”, “Accuracy”, et “Object” sont juste éclairées par un croissant de mauvaise lune, tandis que c’est un génie fumasse qui pourchasse “Grinding Halt”, “So What” ou “Fire In Cairo”. Les parties de guitares de Robert Smith sont tendancieuses, voire litigieuses, et la rythmique, abandonnée aux mains de Lol Tolhurst et Michael Dempsey (qui sera remplacé par Simon Gallup), bat comme un cœur dans de la cendre. La France et ses lycéens, très portés sur le spleen, accueilleront Robert Smith et ses caprices à bras ouverts dès l’album suivant, faisant d’un trio presque secret une énorme machine de stades. A partir de là, le chanteur de Cure en profitera pour afficher de manière ostentatoire son air affecté de bizuté permanent. Sa musique prendra du ventre et les chansonnettes gavées de colorants de “Three lmaginary Boys” retourneront dans leur pochette signée Bill Smith, avec un lampadaire, un aspirateur, et un réfrigérateur bien blanc pour les garder bien au frais.

Christophe Basterra dans Rock & Folk n°346 de juin 1996[modifier le code]

Avril 1979. Que reste-t-il du raz-de-marée punk ? Des cadavres encore chauds, quelques groupes qui rêvent des Etats-Unis. Des structures indépendantes qui se sont multipliées dans toute la Grande-Bretagne. En ce printemps de fin de décennie, émerge surtout une nouvelle génération qui a repris à son compte l’énergie du mouvement mais a teinté son rock de couleurs sombres. The Cure, jeune trio de Crawley, en fait partie. Son premier 45 tours, “Killing An Arab” / “10.15 Saturday Night”, lui a valu une série de chroniques dithyrambiques qui accompagneront également la réalisation de “Three Imaginary Boys”. Pourtant, le groupe signe un premier album décousu, sorte de résumé des trois dernières années où Robert Smith (guitare/chant), Lawrence “Lol” Tolhurst (batterie) et Michael Dempsey (basse) ont étoffé leur culture musicale et affiné leurs compositions. Ici, ils doivent beaucoup à leur mentor et protecteur, Chris “Bill” Parry, qui les a sortis de la banlieue londonienne un beau jour d’août 1978. C’est lui qui impose cette pochette énigmatique, pour envelopper l’affaire d’une aura mystérieuse. C’est lui qui produit l’album et dessine le fil conducteur, avec l’aide d’un jeune assistant nommé Mike Hedges. Contrairement à ce qu’il avait décidé pour un autre trio de l’époque (The Jam), il imagine ici un son décharné et quasi neurasthénique. Pourtant, ce qui surprend le plus, c’est l’importance donnée à la basse de Dempsey, qui n’est pas — comme dans la plupart des disques de l’époque — un simple outil rythmique mais bien un instrument lead. Le résultat est surprenant, l’atmosphère étrange. On a souvent l’impression que trois musiciens jouent chacun de leur côté, dans une pièce différente. On assiste à une succession de petits exercices de style, entre power pop efficace (“Grinding Halt”, le sublime “Fire In Cairo”, “Object”) et punk rock suranné (“So What ?”, “It’s Not You”), inflexions jazzy (“Accuracy”, “Meat Hook”) et une incroyable version minimaliste du “Foxy Lady” de Jimi Hendrix. Mais c’est également là que se trouvent deux morceaux (l’obsédant “10.15 Saturday Night” et la chanson éponyme “Three Imaginary Boys”) qui deviendront quelques années plus tard des hymnes incontournables de concerts-marathons. Et, sans que personne ne le sache encore, le dernier titre — ballade tourbillonnante au solo déchiré — annonce la direction que le jeune Smith a envie de suivre.


Pierre Siankowski dans Les inrocks 2 THE CURE (1er trimestre 2005)[modifier le code]

Le début du parcours discographique de The Cure est un sacré imbroglio, qu’il importe de dénouer au plus vite, histoire de ne pas mettre la charrue avant les bœufs — ou plutôt, le gel avant les cheveux. Lors de vos années de collège ou de lycée, vous avez très certainement entendu votre ami “curiste” Marc, derrière ses petites lunettes rondes et sous sa tonne de Vivelle ultrafixant, quitter son habituelle torpeur pour vanter à grand renfort d’épithètes les mérites du tout premier The Cure. “Boys Don’t Cry, celui-là il est excellent, dément, génial" disait jadis Marc. Eh bien, si Marc n’avait pas tort — Boys Don’t Cry est effectivement un disque excellent, dément et génial —, il n’avait pas non plus tout à fait raison. Car Boys Don’t Cry n’est en effet qu’une sorte de compilation qui regroupe les premiers singles de The Cure mais aussi des extraits du “vrai” premier album du groupe cette fois, Three Imaginary Boys. C’est en 1978, sur la foi du tout premier 45t du groupe, Killing an Arab inspiré par la lecture de L’Etranger de Camus alors que beaucoup prenaient au départ le titre pour un hymne xénophobe), qu’un certain Chris Parry, alors employé par la maison Polydor, décide de prendre contact avec la bande de Robert Smith pour la convoquer en studio. Comme le label ne roule pas sur l’or et que Parry n’est pas encore complètement convaincu par ce jeune groupe, il leur alloue des plages horaires un peu spéciales. Les Cure enregistrent ainsi leurs premiers titres pour Polydor en cinq nuits, dans un studio réservé le jour pour The Jam, alors en train de mettre la touche finale à All Mods Con. Et c’est Mike Hedges, un tout jeune technicien de studio, qui sera chargé des prises de son (il produira ensuite avec Smith Seventeen Seconds et Faith). The Cure débarque avec une vingtaine de chansons prêtes à être enregistrées et avec un matériel qui fait frémir Parry : Robert Smith se trimballe par exemple avec une guitare toute pourrie achetée par son grand frère chez Woolworths et avec un vieil ampli qui tombe en ruine. Si Parry décide d’acheter un peu de matos, Smith insiste pourtant pour conserver sa guitare fétiche sur plusieurs titres. Ce qui explique en partie ce son de guitare assez lointain et parfois presque défaillant qui fait parfois l’inconsistance de plus d’un titre couché sur les sessions de Three Imaginary Boys. D’autant que Smith n’est pas non plus le meilleur joueur de guitare du monde : il reconnaît bien volontiers avoir appris l’instrument avec la méthode du dénommé Bert Weedon — point à la ligne. On trouve d’affleurs sur la très récente réédition de Three Imaginary Boys un titre intitulé The Weedy Burton, sorte d’hommage déguisé rendu par Smith à son vieux maltre Weedon. Cette (relative) indigence technique, The Cure va pourtant en faire une force, aidé par l’insistance de Mike Hedges, qui passe les cinq nuits d’enregistrement à convaincre le groupe de tendre vers le son le plus dépouillé qui soit. Peut-être sans le savoir, Hedges aide ainsi The Cure à trouver son identité sonore. En 1979, entre la furie punk, le rythme martial de la new-wave et les tartines douteuses des mods, The Cure invente en effet lors de ces enregistrements nocturnes le son qui est plus ou moins encore le sien vingt-cinq ans plus tard, et qu’on retrouve en germe sur la majorité des titres de Three Imaginary Boys. Après une intro souvent discrète, basse et batterie sont systématiquement envoyées en éclaireurs, pour laisser ensuite la voix de Smith et les imparables mélodies de guitare, faussement en retrait toutes les deux, gagner toujours plus de terrain jusqu’à l’apothéose pop. Il suffit d’ailleurs aujourd’hui de réécouter des titres comme 10:15 Saturday Night (face B de Killing an Arab réenregistrée en compagnie d’Hedges), Accuracy, Another Day, So What ou Three Imaginary Boys pour se convaincre que le Cure de l’époque est un groupe balbutiant qui invente sa formule et qui commence à comprendre qu’elle est chouette. Sorti en mai 1979, Three Imaginary Boys reçoit un excellent accueil. Le Melody Maker lui met cinq étoiles et conclut ainsi sa chronique “Les années 80 commencent avec ce disque de The Cure”. La sortie de Boys Don’t Cry, qui n’est pas sur Three Imaginary Boys mais qui a été créé lors des fameuses cinq nuits avec Hedges, enfonce encore un peu plus le clou. Et même si c’est excellent, dément et génial, comme dirait votre copain Marc, au sein de The Cure, l’ambiance n’est pourtant pas au top. Smith, qui s’est embrouillé avec le bassiste Michael Dempsey (qui chante sur la lamentable reprise du Foxy Lady d’Hendrix qu’on trouve sur Three Imaginary Boys), décide de partir gratouiller aux côtés de Siouxsie and the Banshees pour voir s’il y est, et de laisser The Cure en souffrance pour quelques mois. Le père Smith revient aux affaires à la fin de l’année 1979 pour l’enregistrement de Jumping Someone Else’s Train, single qui sonne d’ailleurs le glas de la participation de Dempsey au groupe. Reparti sur de nouvelles bases — Simon Gallup remplace Dempsey à la basse et Matthieu Hartley est embauché aux daviers — The Cure retourne en studio aux côtés de Hedges pour enregistrer un nouvel album, Seventeen Seconds. Alors que le groupe est au travail, la rumeur The Cure s’amplifie à une vitesse incroyable, aux Etats-Unis surtout contre toute attente, Boys Don’t Cry est un petit succès sur les college radios, et Polydor décide de sortir un album destiné à l’export, regroupant tous les singles du groupe, quelques faces B (Plastic Passion) et des extraits des sessions de Three Imaginary Boys. Le disque-compilation s’appelle Boys Don’t Cry, et pour tous ceux qui ont manqué l’entame discographique de la clique de Robert Smith, c’est en apparence le premier album de The Cure. D’où ce que vous racontait votre copain Marc, qui n’était pas tout à fait vrai, mais pas non plus complètement faux.