Discussion:Centre de tri du courrier de Nancy

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   ______________________________
   1. IDENTITE DU BÂTIMENT OU DE L’ENSEMBLE
   nom usuel du bâtiment :
   nom actuel :
   numéro et nom de la rue :
   ville :
   pays : 


   Tri postal de Nancy
   Centre de tri et de distribution Nancy-Gare
   8 boulevard Joffre
   54000 Nancy
   France
   PROPRIETAIRE ACTUEL 
   nom :
   adresse :
   téléphone :
   fax :


   Direction générale de l'Industrie des Technologies de l'Information et des Postes du Ministère de l'Économie des Finances et de l'Industrie
   12 rue Villiot 75012 PARIS
   01 44 87 17 17
   ETAT DE LA PROTECTION
   type :


   date :


   Situé dans le périmètre de 500 m de rayon constituant les abords d'un monument historique (Synagogue de Nancy), le Tri postal ne peut être transformé ou démoli sans l'avis de l’Architecte des Bâtiments de France.
   1972
   ORGANISME RESPONSABLE DE LA PROTECTION
   nom :
   adresse :
   téléphone :
   fax :


   Service Départemental de l'Architecture et du Patrimoine
   1 rue Louis Majorelle
   54000 NANCY
   03 83 41 68 68 / 0810 63 54 04
   03 83 41 17 06


le paysage des années 1970 à Nancy (Joseph Abram, 1998)


   2. HISTOIRE DU BÂTIMENT
   commande :
   La commande du tri postal de Nancy a été passée à Jacques André, architecte régional des PTT pour les départements de Meurthe-et-Moselle, de Meuse, de Moselle et des Vosges. Les premières esquisses, pour un programme qui n'est pas encore celui de l'équipement réalisé, remontent à 1964. Le terrain mis a disposition des Postes par la SNCF (entre le boulevard Joffre et les voies ferrées) est déjà choisi, mais l'implantation exacte du tri postal n'est pas encore fixée. Elle sera précisée au cours de l'été 1966. Plusieurs étapes ont conduit à la définition de l'édifice actuel. Les études menées de 1964 à 1966, sous la direction de Jacques André, aboutissent à l'élaboration d'un plan en "L", composé d'un bâtiment parallélépipédique (pour les opérations de tri) et d'une tour abritant des bureaux et des logements. La tour, de section carrée, devient bientôt hexagonale. En 1967, lorsque Claude Prouvé prend en charge le projet, le plan se transforme en "T" et la tour se tasse en un "plot" central orienté vers le boulevard. En 1968, la Direction des bâtiments et des transports du Ministère des Postes et Télécommunications se prononce pour un édifice constitué d'un parallélépipède unique, sans volume en saillie. C'est au cours de l'été que Claude Prouvé détermine, à partir de ces nouvelles données, la physionomie définitive du projet. Membre de l'agence de Jacques André depuis 1963, d'abord comme salarié, puis, après son diplôme en 1965, en tant qu'associé, Claude Prouvé conduit l'étude à son terme, du dernier avant-projet aux plans d'exécution et au suivi du chantier. Il est historiquement l'auteur de l'édifice que nous le connaissons aujourd'hui. Fils de Jean Prouvé, il a bénéficié d'une formation très riche, non seulement à travers ses études d'architecture à l'Ecole des Beaux-Arts de Nancy, mais aussi grâce à une série d'expériences significatives menées aux côtés de son père (maison Prouvé à Nancy, façades du CNIT, buvette d'Evian, maison de l'abbé Pierre...). En 1967, au moment où prend forme le tri postal, il collabore avec son père à la réalisation du Palais des Expositions de Grenoble (hall de 24.000 m2 avec portées de 36 m, porte-à-faux de 18 m et façades suspendues). Le tri postal exprime sa maîtrise de constructeur. Traitée dans le cadre de l'agence André-Prouvé, ce projet fit l'objet d'une approche minutieuse. Des réunions organisées à Paris, avec les services centraux du ministère des Postes et Télécommunications, permirent l'établissement d'un cahier des charges très précis. "Le grand confort de ce type de projet, observe Claude Prouvé, c'est que le bâtiment ne représente qu'une part de l'investissement global consenti. Le coût des machines est très élevé. Il y a donc, de la part du commanditaire, une certaine largeur de vue face à l'architecture." (Joseph Abram, entretien avec Claude Prouvé, 1997). C'est cette largeur de vue qui explique la générosité constructive du tri postal et l'attention portée aux conditions de travail du personnel. L'élaboration du projet semble s'être déroulée sans encombre. Claude Prouvé dit avoir été surpris par la localisation du programme en plein centre de Nancy. Pour lui, un tri postal doit s'étendre sur un seul niveau afin de s'adapter linéairement au corps des machines. "Un long hangar pourvu de bardages aurait parfaitement fait l'affaire en périphérie. Mais, durant les années soixante, on implantait les tris au cœur des agglomérations." (Joseph Abram, entretien avec Claude Prouvé, 1997) Force est de constater que ce sont les contraintes dues à la localisation centrale du projet, qui sont à l'origine du splendide édifice, mi-industriel, mi-urbain, que nous admirons aujourd'hui.
   architectes :
   Claude Prouvé dans le cadre de l'agence André-Prouvé (Jacques André, Michel André, Claude Prouvé, Jean-Luc André).
   autres intervenants :
   Jacques André, responsable officiel du projet.
   ingénieurs :
   SEBA, bureau d'études techniques et d'organisation pour le génie civil, le bâtiment et l'équipement, organisme chargé de l'ensemble du projet et du chantier
   SOCOTEC , société de contrôle technique et d'expertise de la construction, bureau de Nancy pour le contrôle technique de la réalisation
   Bureau d'études B3 de la Direction des bâtiments et des transports du Ministère des postes et Télécommunications pour le suivi du projet par le maître d'ouvrage
   contractants:
   - SGTBA-Balency-Briard (gros-œuvre)
   - Joly (charpente métallique, couverture aluminium)
   - Millet (façades métalliques)
   - SPAPA (étanchéité)
   - Joly et Laugel-Renouard (menuiserie métallique, serrurerie)
   - Bresson (menuiserie bois, quincaillerie)
   - Plomberie Nancéienne (Sanitaire, plomberie)
   - Sorotex (ascenseurs, monte-charges)
   - Lalesse (nacelle de nettoyage des façades)
   - Bassi (carrelage, faïence, linoleum)
   - Lhuillier-Seyer (miroiterie, vitrerie)
   - Ravaleur de Nancy (peinture)
   - Trindel (électricité basse tension)
   - Monchel (électricité haute tension)
   - Tunzini (chauffage central et ventilation)
   - Lenoir (distribution électrique de l'heure)


   CHRONOLOGIE
   date du concours : procédure sans concours, attribution directe à l'architecte régional des PTT
   date de la commande : 1964 (pour les premières études) / 1968 (pour le nouveau programme)
   période de conception : 1964-1967 (premiers projets) / 1968-1970 (projet définitif)
   durée du chantier : 30 mois début : 19 avril 1971 fin : 13 novembre 1973
   inauguration : Visite du chantier par le ministre des Postes et Télécommunication le15 juin 1973, avant la mise en service du bâtiment.


   ETAT ACTUEL DU BÂTIMENT
   Usage :
   Le tri postal est encore en activité. Il sera désaffecté au cours de l'année 2006.
   Etat du bâtiment :
   L'édifice est en bon état. Le manque d'entretien au cours des dernières années a entraîné quelques dégradations superficielles (mur rideau, stores extérieurs).
   Résumé des restaurations et des autres travaux conduits, avec les dates correspondantes:
   La ville de Nancy ayant envisagé, dès 1996, la destruction du bâtiment, aucun travaux d'entretien n'a été entrepris au cours des dix dernières années.


l'environnement des voies ferrées (Joseph Abram, 1998)


   3. DOCUMENTATION / ARCHIVES
   archives écrites, correspondance, etc. :
   - Archives départementales de Meurthe et Moselle / Fonds Jean-Luc André (cote 119 J), pré-inventaire AMAL : PTT Nancy Centre de Tri postal : caisses 214 / 249 / 261 / 307 / 315 / 328 / 331 / 332 / 335 / 339 et SNCF : caisse 137A. 
    dessins, photographies, etc. :
   - Archives départementales de Meurthe et Moselle / Fonds Jean-Luc André (cote 119 J), pré-inventaire AMAL : PTT Nancy Centre de Tri postal : rouleaux 13 / 22A / 22B / 22C / 363A / 363B et SNCF Nancy Gare : rouleaux 316 / 158A / 158B / 158C / 158D.
   - Centre Georges Pompidou : Inv. : AM 2000-2-51 à AM 2000-2-56, E2461-1 (avant-projet, 14 mars 1968), E2461-2 (avant-projet, 1969), E2461-3 (avant-projet façades, 1969), E2461-4 (avant-projet coupe BB, 24 janvier 1969), E2461-5 (avant-projet coupe AA, 24 janvier 1969), E2461-6 (projet défintif, maquette, 1972).
   autres sources, films, vidéos, etc. :
   - Archives en ligne du Centre Georges Pompidou, Paris.
   principales publications (par ordre chronologique) :
   - "Conçu pour un doublement du trafic actuel : le nouveau centre de tri et de distribution de Nancy sera en service en 1973", Le Républicain Lorrain, 27 juillet 1971.
   - "Silhouette insolite", L'Est Républicain, 22 septembre 1971.
   - "Nouvelle unité de béton boulevard Joffre : le centre de tri et de distribution est sorti de terre", Le Républicain Lorrain, 12 octobre 1971.
   - Hubert Veillon, "Les deux qualités du futur centre de tri postal à Nancy : confort et efficacité", L'Est Républicain, 21 décembre 1972.
   - "Le ministre au centre de tri postal : en faire le royaume de la lumière et de la couleur", L'Est Républicain, 17 juin 1973.
   - Joseph Abram, "Nancy : Impressions sur la ville telle quelle", Autrement, septembre 1990, pp. 91-100.
   - Paul Lebœuf, "Le tri postal à Nancy : un chef-d'œuvre en péril. Exposition à la cité radieuse de Briey de toutes les facettes du tri postal à Nancy. Pour préserver ce bâtiment qui appartient au patrimoine industriel contemporain", L'Est Républicain, 8 janvier 1998.
   - Joseph Abram, "Claude Prouvé : le tri postal à Nancy. Un patrimoine contemporain à préserver", texte publié à l'occasion de la présentation de l'exposition Claude Prouvé à l'Unité d'habitation de Briey-en-Forêt, Briey, janvier 1998.
   - Joseph Abram, "Claude Prouvé. Le tri postal de Nancy", Le Moniteur-Architecture-AMC, n°87, mars 1998, pp. 70-79.
   - Joseph Abram, "Political will and the cultural identity crisis in the late-twentieth-century french architecture", Premises, Invested Spaces in Visual Arts, Architecture and Design from France 1958-1998, Guggenheim Museum, New York, 1998, pp. 334-355.
   - Joseph Abram, L'architecture moderne en France, 1940-1966, du chaos à la croissance, tome 2 (collection dirigée par Gérard Monnier), Picard, Paris, 1999, 328 pages.


les halls voûtés (Joseph Abram, 1998)


   4. DESCRIPTION DU BÂTIMENT
   Situé à proximité de la gare, au milieu d'un vaste territoire constitué, d'un côté, par l'immense poche des voies ferrées, de l'autre, par le quartier commercial Saint-Sébastien, le tri postal établit un subtil équilibre entre l'urbanité d'un immeuble de bureaux et la puissance d'un bâtiment industriel. Il accède à cette identité complexe par le seul jeu des réponses fonctionnelles et techniques à un programme bien formulé. La parcelle concédée par la SNCF, trop exiguë pour permettre un déploiement horizontal des opérations de tri, fut utilisée aux limites. D'où la réalisation d'un bâtiment de quatre niveaux, conçus comme autant de plateaux libres (24 m x 72 m), séparés les uns des autres par des hauteurs sous-plafond supérieures à 6 m, et capables de recevoir des charges de plus de 1500 kg au mètre carré afin d'accueillir les machines. Ces plateaux, construits au moyen d'une ossature en béton à larges travées (9 m x 12 m), sont entresolés au nord pour loger l'administration et différents services. Un mur rideau homogène, peau d'aluminium et de verre tendue d'un étage à l'autre sur des profils raidisseurs type "tour Eiffel" conçus par Jean Prouvé, clôt cette grande ossature, recouvrant indifféremment les locaux techniques et les bureaux. Afin d'imposer aux PTT cette enveloppe légère, (le commanditaire voulait des façades en béton), Claude Prouvé entreprit de convaincre en premier lieu l'Architecte des Bâtiments de France. Il fit valoir la proximité du building Joffre, "gratte-ciel" nancéien construit en métal par son oncle Henri Prouvé, ainsi que la modernité des immeubles voisins. La cause fut rapidement entendue, et l'ABF "exigea", par écrit, des façades légères en aluminium. Ainsi le bâtiment fut réalisé conformément aux souhaits de Claude Prouvé. Le tri postal apparaît comme une variante des immeubles "à noyau", mais inversée, puisque ici, pour libérer les plateaux, les circulations verticales et les fluides sont écartés vers la périphérie des dalles. Les ascenseurs, les escaliers, les gaines techniques et les sanitaires sont enfermés dans trois tours de béton qui contreventent la grande ossature, dont les fondations sur pieux (0,80 m de diamètre) s'enfoncent dans le sol à une profondeur de 22 m. Le positionnement de ces tours et leur orientation procèdent d'une composition savante. Décollées du parallélépipède vitré, dont elles longent les parois, elles règlent le rythme de chacune des façades, tout en assurant le calage du volume d'ensemble dans l'espace urbain. Deux tours sont parallèles à la grande boîte de verre, la troisième s'en écarte pour marquer l'entrée destinée aux piétons. Le mur-rideau se plie, ou plutôt se retourne, pour aller à la rencontre de ces hauts monolithes aux angles arrondis. Côté boulevard, le tri est accessible, par un parvis triangulaire réservé aux camions ; côté gare, par des voies ferrées, dont les segments couverts ressemblent à des wagons géants. Deux voûtes juxtaposées s'étirent en tunnels ajourés au-dessus des rails. Un rythme long et puissant se dégage de ces "trains immobiles" au dessin parfait. A l'intérieur du bâtiment, les opérations de tri se développent d'un plateau à l'autre, de bas en haut, puis de haut en bas : le courrier, déchargé au rez-de-chaussée, est acheminé mécaniquement aux étages, où il est trié. Il regagne ensuite le sol à travers quatre cylindres d'aluminium munis de toboggans destinés à l'acheminement des sacs postaux.


l'escalier de la tour nord-est (Joseph Abram, 1998)


   5. RAISONS JUSTIFIANT LA SELECTION EN TANT QUE BÂTIMENT DE VALEUR REMARQUABLE ET UNIVERSELLE
   1. appréciation technique :
   Pensé autour des machines, mais de manière assez ample afin de permettre une éventuelle modification de la mécanisation, l'édifice donne à voir une version très accomplie d'un mode de construction mixte (métal/béton), dont il propose une sorte modèle. L'articulation des matériaux et des techniques est ici exemplaire. Les tours de béton (d'une hauteur de 24 m) ont été réalisées chacune en dix jours grâce à la technique spectaculaire du coffrage glissant (20 cm à l'heure). Les poutres et les dalles en béton précontraint (9 m x 12 m) ont été mises en œuvre rapidement. Une équipe de 35 personnes se trouvaient en permanence sur ce chantier, où furent coulés 6000 m3 de béton. Le mur-rideau développe une surface de 4200 m2. Il est raidi par des profils aluminium type "tour Eiffel" dérivés de Jean Prouvé. Les détails de cette grande construction sont très soignés. Les poteaux cruciformes, de section régulière aux étages, sont élargis en rez-de-chaussée selon un profil pyramidal élancé, comme pour exprimer l'indestructible stabilité de l'édifice. L'ossature de béton est littéralement emballée dans un manteau continu, confectionné sur mesure, avec ses lignes saillantes de 30 cm, ses angles rentrants ajustés aux poteaux, et son remplissage homogène de glace transparente ou opaque.
   2. appréciation sociale :
   Le centre de tri et de distribution de Nancy a été conçu comme un équipement ultra-moderne destiné à répondre à l'augmentation considérable du trafic postal à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Les bâtiments provisoires de l'ancien tri, établis en 1948 à l'angle de l'avenue Foch et du boulevard Joffre, étaient complètement inadaptés. Le travail s'y effectuait dans de mauvaises conditions, le personnel devant décharger les wagons en plein air, par tous les temps. Le nouveau bâtiment a été pensé de façon rationnelle et généreuse pour améliorer les conditions de travail des employés. Des voies ferrées pénètrent directement dans les halls voûtés qui peuvent accueillir plusieurs wagons. Le déchargement se fait à l'intérieur des halls. Le transbordement des sacs postaux est effectué au moyen de chariots et de convoyeurs aériens sur rails. Des ascenseurs et des monte-charges permettent l'acheminement du courrier vers les grandes salles de tri des deux premiers étages (l'une de 1500 m2, l'autre de1730 m2). Une salle de distribution destinée aux facteurs de l'agglomération nancéienne se situe au 3 e étage. La chaufferie est placée sur la toiture-terrasse pour d'évidentes raisons de sécurité. Les immenses surfaces vitrées des façades permettent l'éclairage naturel jusqu'au centre de ce bâtiment épais. Visitant l'édifice presque achevé, le 16 juin 1973, le ministre des Postes et Télécommunications, Hubert Germain, pouvait déclarer : "Toutes ces baies prouvent que vous avez su en faire le royaume de la lumière, autant en faire également le royaume de la couleur en bannissant les teintes traditionnelles et tristes". Des tons vifs agrémentent les circulations, les espaces de travail et de repos des employés.
   3. appréciation artistique et esthétique :
   Mettant à contribution des savoirs techniques bien assimilés, ce bâtiment utilitaire, véritable chef-d'œuvre de l'architecture industrielle des années 1970, développe un discours esthétique vigoureux, fondé sur les connotations contrastées de robustesse et de légèreté inhérentes aux matériaux employés. Il s'insère avec majesté dans son contexte urbain, offrant à son voisinage immédiat (le building Joffre, la Caisse d'épargne, la Sécurité sociale, la Synagogue, etc.), ainsi qu'au paysage vu du viaduc Kennedy (les tours Saint-Sébastien, le Trident, la tour près de la gare), un "bloc-témoin" d'une étonnante stabilité. Vu des voies ferrées, le tri postal est une usine, un de ces lieux actifs où le travail quotidien invite à la simplicité. Son élévation harmonieuse est animée, de ce côté, par les quatre cylindres des toboggans. Vu du centre Saint-Sébastien, il s'affirme comme un équipement public, avec sa tour aux allures de stèle, et sa façade pelliculaire déroulée comme un film entre deux bobines. Cette membrane clôt la rue Saint-Thiébaut, fragment d'espace moderne entre le building Joffre et la Sécurité sociale. Le long du boulevard, l'édifice offre à l'automobiliste la succession dynamique de ses raidisseurs d'aluminium.
   4. arguments justifiant le statut canonique (local, national, international) :
   - Au plan local, le tri postal peut être considéré comme l'une des pièces maîtresses de l'école nancéienne des années 1960-1970. Au cours de ces deux décennies, la capitale lorraine se transforme profondément. La modernité pénètre les tissus anciens, parfois de manière discrète, souvent de manière violente, au prix d'importantes destructions. Mais, contrairement à ce qui se produit dans d'autres villes françaises, les constructions nouvelles sont à Nancy d'une qualité remarquable. Elles forment des ensembles cohérents qui marquent fortement le territoire de l'agglomération. Qu'il s'agisse des environs de la gare, du quartier Saint-Sébastien, ou de programmes dispersés, on assiste, durant vingt ans, à la floraison d'une architecture bien construite, rationnelle, ouverte aux innovations techniques. Une dizaine de praticiens contribuent à cette modernisation accélérée de l'ancienne cité des ducs de Lorraine : Henri Prouvé (building Joffre, école rue du Grand-Rabbin-Haguenauer), Jacques et Michel André (musée du Fer à Jarville, faculté des Lettres), Dominique Louis (immeuble du CTS, collège Saint-Joseph), Michel Folliasson (tour Thiers, centre Saint-Sébastien), Maurice Bayer (magasin avenue du Général Leclerc), Louis Fleck (tour des Coopérateurs), Abel Lucca (tour Panoramique), Jean Marconnet (résidence Kennedy, tours Saint-Sébastien), Jean-Luc André (siège de la SNVB à Laxou), Claude Prouvé (tri postal, piscine universitaire). A travers toutes ces constructions, comme à travers d'importantes infrastructures (viaduc Kennedy), un paysage urbain nouveau affirme à Nancy sa contemporanéité. La qualité est ici évidente. Deux années consécutives, le prix de "l'Équerre d'argent" est attribué à des architectes nancéiens (en 1969, à Jacques et Michel André pour le musée du Fer, en 1970, à Louis Fleck pour la tour des Coopérateurs).
   - Au plan national, le tri postal apparaît comme l'une des œuvres majeures de la période. Il figure, dès 1990, parmi les cent édifices choisis pour illustrer la troisième partie (1945-1970) de l'Histoire de l'architecture moderne en France rédigée par l'équipe de recherche de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) sous la direction de Gérard Monnier. Ce choix a été confirmé en 1999 lors de la parution de l'ouvrage aux éditions Picard (Paris). Deux expositions ont été consacrées au tri postal en 1998, l'une à l'École d'architecture de Nancy, l'autre à l'Unité d'habitation "Le Corbusier" à Briey-en-Forêt. Plusieurs dessins présentant l'avant-projet, ainsi qu'une maquette du projet définitif, font partie de la collection d'architecture du Centre Georges Pompidou. L'édifice bénéficie, en outre, de la notoriété de son auteur, qui a contribué, avec le système métallique SIRH, au renouvellement des idées en matière d'industrialisation de l'habitat (1969-1974).
   - Au plan international, le tri postal est reconnu à travers une publication du musée Guggenheim de New York (à l'occasion d'une exposition organisée en partenariat avec le Centre Georges Pompidou (Premises, Invested Spaces in Visual Arts, Architecture and Design from France 1958-1998, Guggenheim Museum, New York, 1998).
   5. évaluation du bâtiment en tant qu'édifice de référence dans l'histoire de l'architecture, en relation avec des édifices comparables :
   Minimal dans ses moyens d'expression, mais complexe dans ses significations fonctionnelles et urbaines, le tri postal mêle composition et construction dans un processus de conception inédit. Peu d'édifices réalisés au cours des années 1960-1970, peuvent lui être comparés. Les oeuvres de l'atelier de Montrouge, telles que les bureaux d'EDF à Issy-Les-Moulineaux (Pierre Riboulet, Gérard Thurnauer, Jean-Louis Véret, 1961-1963 et 1969-1974), ou le Centre de traitement informatique EDF d'Orléans-La-Source (Jean Renaudie, Pierre Riboulet, Gérard Thurnauer, Jean-Louis Véret, 1967-1968) ne renvoient pas à la même culture du matériau. Certaines constructions industrielles comme, par exemple, le réservoir et la tour de vigie de Fos-sur-Mer (Gaston Jaubert, 1968-1972), peuvent être évoquées pour l'usage expressif des techniques, mais les ressources esthétiques auxquelles ont recours ces oeuvres, les apparentent aux manifestations tardives du brutalisme international. Ce qui différencie le tri postal de toutes ces réalisations, c'est l'attitude de l'architecte vis-à-vis des moyens employés. La démarche de Claude Prouvé implique d'emblée la matérialité. "Tout est construction / tout est composition". Rien n'est pour lui séparable. Technique et esthétique fusionnent en une totalité indéfectible. L'architecture s'identifie à sa fabrication par un jeu d'ajustements, qui aboutit à leur équivalence absolue. Sur ce point, on pourrait rapprocher le travail de Claude Prouvé de celui de Marcel Breuer au Centre d'études et de recherche IBM de La Gaude (Alpes-Maritimes, 1963) ou de celui d'Ernö Goldfinger dans ses puissants ensembles londoniens (Elephant and Castle, 1963, Trellick Tower, 1967). Au tri postal, la plastique puise sa force dans la double culture du mur rideau et du coffrage béton. L'opposition / articulation des matériaux et de leurs logiques constructives conduit à sublimer leurs différences en une vision éthique de la totalité, rêvée comme harmonie naturelle. On observe cette même orientation chez Jean Prouvé, à travers une pensée technique nourrie de références mécaniques et organiques. Constructeur, Jean Prouvé est aussi (conséquence de sa démarche rationnelle) l'un des grands créateurs de formes du XXème siècle. Ses murs rideaux sont, au même titre que ses meubles, des structures plastiques à part entière. On ne peut dissocier chez lui le travail sur la forme de l'obsession de la fabrication. En ce sens, on pourrait voir dans la beauté rigoureuse du tri postal de Nancy un hommage rendu à Jean Prouvé par son fils. Parce qu'il résout simultanément les questions internes à sa constitution (son identité) et celles, externes, relatives à sa situation urbaine (sa contextualité), le tri postal anticipe sur certaines préoccupations contemporaines. Il fixe simultanément la rationalité d'une architecture industrielle et la poétique du paysage urbain qui l'entoure. Avec ses murs rideaux aux membrures d'aluminium garnies d'émalite grise, et ses tours de service qui expriment, jusque dans la texture striée de leurs bétons, le mouvement des coffrages glissants, ce bâtiment témoigne de la vivacité tardive de la tradition constructive nancéienne, dont il constitue l'un des derniers fleurons. Prochainement désaffecté, le tri postal pourrait offrir, sans grandes transformations, ses 11.000 m2 de surfaces utiles à des fins culturelles : musée d'histoire urbaine, archives, centre d'architecture, musée Prouvé, pourraient s'y installer.