Décision Avenir de l'école

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La décision n°2005-512 DC du 21 avril 2005, dite décision Avenir de l'école est une décision du Conseil constitutionnel français de 2005, dans laquelle ce dernier fait application du principe constitutionnel de normativité de la loi et déclare la valeur règlementaire de dispositions organiquement législatives, mais matériellement règlementaires.

Historique[modifier | modifier le code]

Jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel[modifier | modifier le code]

Jurisprudence sur le domaine de la loi et le domaine du règlement[modifier | modifier le code]

Le Conseil constitutionnel refuse, depuis sa décision Blocage des prix et des revenus du 30 juillet 1982, de censurer les dispositions matériellement règlementaires et organiquement législatives[1],[2],[3],[N 1] (c'est-à-dire celles qui, bien qu'ayant été adoptées par le Parlement, faisant application de la procédure législative, relèvent du domaine règlementaire).

Jurisprudence sur la normativité de la loi[modifier | modifier le code]

Traditionnellement, le Conseil constitutionnel rejetait le moyen tiré de la non normativité de la loi, estimant qu'il était inopérant (notamment, dans la décision n°2003-483 DC du 14 août 2003)[4]. Il estimait, en effet, qu'un texte dépourvu d'effet juridique ne pouvait être contraire à la Constitution[5]. Il affirma, dans sa décision Loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales du 29 juillet 2004, que la loi a portée normative[1],[6].

Jurisprudence sur l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi[modifier | modifier le code]

Le Conseil constitutionnel consacre l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi dans une décision de 1999[7],[8].

Genèse de la décision[modifier | modifier le code]

Dans les années précédant la décision Avenir de l'école, la doctrine et le Conseil d'État, dans son rapport public de 1991, constatèrent la dégradation de la qualité de la loi[4].

En 2005, dans son discours de présentation des vœux au président de la République, Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, dénonce la "dégradation de la qualité de la loi"[9]. Il y déclare que le Conseil constitutionnel est "prêt à censurer les neutrons législatifs"[10],[11].

Contenu et motivation de la décision[modifier | modifier le code]

Application du principe de normativité de la loi[modifier | modifier le code]

Dans sa décision Avenir de l'école, le Conseil constitutionnel applique le principe de normativité de la loi, à valeur constitutionnelle, sur le fondement de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel "la loi est l'expression de la volonté générale" et de "l'ensemble des autres normes constitutionnelles relatives à l'objet de la loi"[12],[13]. En effet, selon Pierre Mazeaud, dans la Constitution, "la loi est le sujet de verbes ayant tous un contenu « décisoire » (détermine, fixe, ordonne, régit, réglemente, défend, exclut etc.)". Toutefois, l'article 3, alinéa 5 de la Constitution[N 2], fait exception à ce principe, en employant le verbe "favoriser"[4],[10]. Selon la constitutionnaliste Véronique Champeil-Desplats, le Conseil constitutionnel apprécie le caractère normatif d'un énoncé principalement en fonction de son caractère abstrait ou polysémique, bien qu'il prenne aussi en considération la non impérativité de l'énoncé[11]. Selon le publiciste Guillaume Glénard, le fondement constitutionnel choisi pour le principe de normativité de la loi apparaît fragile, la mention de la "volonté générale" dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme étant une référence à la théorie politique de Jean-Jacques Rousseau, laquelle n'implique que la loi ait portée normative et les verbes mentionnés par Pierre Mazeaud n'indiquant pas que la loi ait portée normative, le verbe "déterminer" étant d'ailleurs employé au sujet des lois de programme, pouvant être dépourvues de portée normative[4].

Le Conseil constitutionnel admet toutefois que ce principe ne s'applique que "sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution" ; ainsi, admet-il dans son douxième considérant, que les dispositions pouvant trouver leur place dans une loi de programme, en application de l'article 34 de la Constitution ne sont pas concernées[14],[13],[N 3]. La même solution est applicable aux lois de plan et aux rapports annexés aux lois de finances et de financement de la Sécurité sociale[15].

Déclassement de dispositions matériellement règlementaires[modifier | modifier le code]

Les dispositions matériellement règlementaires sont déclassées sans être censurées[1]. Le commentaire autorisé de la décision indique que pour procéder à ce déclassement préventif, le Conseil constitutionnel s'est fondé sur l'article 37 de la Constitution, lequel permet au Conseil de déclarer le caractère règlementaire de dispositions[4],[16]. Pour le publiciste Guillaume Glénard, cette solution est " inconciliable avec les règles de fond et de procédure applicables"-notamment, avec l'article 24 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, disposant que "dans les cas prévus à l'article 37 (alinéa 2) de la Constitution, le Conseil constitutionnel est saisi par le premier ministre."[4],[17].

Pour Jean-Pierre Camby, les dispositions ainsi déclassées doivent être considérées comme demeurant formellement législatives, mais pouvant être modifiées par voie règlementaire ; ces dispositions ne pourraient donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir[1].

Consécration du principe de sincérité des débats parlementaires[modifier | modifier le code]

C'est dans la décision Avenir de l'école que le Conseil constitutionnel fait pour la première fois référence au principe de sincérité des débats parlementaires[18].

Précisions sur l'objectif d'intelligibilité de la loi et le principe de clarté de la loi[modifier | modifier le code]

Le Conseil constitutionnel précise que s'il existe un objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi ainsi qu'un principe de clarté de la loi, c'est "afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi"[13],[19],[20].

Portée[modifier | modifier le code]

Le Conseil a réaffirmé le principe de normativité de la loi, à propos de lois mémorielles, dans des décisions en date du 28 février et du 29 novembre 2012[21]. Toutefois, la publiciste Florence Lefebvre-Rangeon constatait en 2016, qu'aucune censure n'avait été prononcée sur le fondement du principe de normativité de la loi[22]. Ce n'est que lors de l'examen de la loi Sapin II que le Conseil constitutionnel a à nouveau censuré une disposition non normative[5].

Il a abandonné la jurisprudence permettant le déclassement des dispositions matériellement règlementaires, dans sa décision n°2012-649 DC du 15 mars 2012[23],[24]. Le commentaire autorisé de la décision précise : "cette décision de 2005 constitue une décision d’espèce, rendue dans le contexte particulier d’un débat sur la « qualité de la loi ». Elle n’avait pas de précédent et le Conseil constitutionnel n’a pas estimé nécessaire de lui donner une suite."[25],[5]

Dans une décision du 13 octobre 2005, le principe de sincérité des débats parlementaires devint le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires[18],[26].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Le Conseil constitutionnel refusait alors de censurer les dispositions organiquement législatives, mais matériellement règlementaires, lorsqu'il était saisi en application de l'article 61 de la Constitution ; toutefois, il acceptait (et accepte toujours) de déclarer le caractère règlementaire de certaines dispositions, lorsqu'il est saisi en application de l'article 37, alinéa 2 de la Constitution ou de déclarer irrecevables des dispositions matériellement règlementaires, lorsqu'il est saisi en application de l'article 41 de la Constitution.
  2. Cet alinéa, créé par une révision constitutionnelle de 1999, a été abrogé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il correspond grosso modo à l'actuel alinéa 2 de l'article 1er de la Constitution.
  3. L'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution prévoyait, jusqu'à la révision constitutionnelle du 25 juillet 2008, que "des lois de programme déterminent les objectifs de l'action économique et sociale de l'État."

Sources[modifier | modifier le code]

  1. a b c et d Jean-Pierre Camby, « La loi et la norme », Revue du droit public,‎
  2. Jean Gicquel et Jean-Eric Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques (36ème édition), Librairie générale de droit et de jurisprudence, p. 865-866
  3. Jean-Bernard Auby, « L'avenir de la jurisprudence Blocage des prix et des revenus », Cahiers du Conseil constitutionnel,‎ (lire en ligne Accès libre)
  4. a b c d e et f Guillaume Glénard, « La conception matérielle de la loi revivifiée », Revue française de droit administratif,‎
  5. a b et c Pascale Deumier, « 1. Qualité de la loi : le retour », Revue trimestrielle de droit civil,‎
  6. « Décision n°2004-500 DC du 29 juillet 2004, dite décision Loi organique relative à l'autonomie des collectivités territoriales » Accès libre, sur Conseil constitutionnel (consulté le )
  7. André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20ème édition), Dalloz, p. 413
  8. « Décision n°99-421 DC du 16 décembre 1999 » Accès libre, sur Conseil constitutionnel (consulté le )
  9. André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20ème édition), Dalloz, p. 406
  10. a et b Pierre Mazeaud, « Voeux du président du Conseil, M. Pierre Mazeaud, au président de la République » Accès libre, sur Conseil constitutionnel
  11. a et b Véronique Champeil-Desplats, « N'est pas normatif qui peut. L'exigence de normativité dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Cahiers du Conseil constitutionnel,‎ (lire en ligne Accès libre)
  12. André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20ème édition), Dalloz, p. 407
  13. a b et c « Décision n°2005-512 DC du 21 avril 2005, dite décision Avenir de l'école » Accès libre, sur Conseil constitutionnel (consulté le )
  14. Benjamin Lavergne, Recherche sur la soft law en droit public français, Presses de l'université Toulouse 1 Capitole (lire en ligne Accès libre), « Titre second. Une réception perturbatrice de l'ordre juridique »
  15. André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20ème édition), Dalloz, p. 409
  16. « Commentaire autorisé de la décision n°2005-512 DC du 20 mai 2005, dite décision Avenir de l'école » Accès libre [PDF], sur Conseil constitutionnel (consulté le )
  17. « Article 24 de l'ordonnance n°58-1067 du 27 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel » Accès libre, sur Legifrance (consulté le )
  18. a et b André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20ème édition), Dalloz, p. 416
  19. Wagdi Sabete, « Déclin ou renouveau de la loi ? L'exception de la loi de programme. A propos des décisions n°2005-512 DC du 21 avril 2005 (loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école) et n°2005-516 DC du 7 juillet 2005 (loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique) », Revue française de droit administratif,‎
  20. André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20ème édition), Dalloz, p. 411
  21. André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20ème édition), Dalloz, p. 408-409
  22. Florence Lefebvre-Rangeon, « L'exigence de normativité de la loi. Quel bilan, dix ans après la jurisprudence Avenir de l'école ? », L'actualité juridique. Droit administratif,‎
  23. André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20ème édition), Dalloz, p. 415
  24. « Décision n°2012-649 DC du 15 mars 2012 » Accès libre, sur Conseil constitutionnel (consulté le )
  25. « Commentaire de la décision n°2012-649 DC du 15 mars 2012 » [PDF], sur Conseil constitutionnel (consulté le ), p. 5
  26. « Décision n°2005-526 DC du 13 octobre 2005 » Accès libre, sur Conseil constitutionnel (consulté le )

Annexes[modifier | modifier le code]

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Guillaume Glénard, La conception matérielle de la loi revivifiée, Revue française de droit administratif n°5, 14 septembre 2005
  • Florence Lefebvre-Rangeon, L'exigence de normativité de la loi. Quel bilan, dix ans après la jurisprudence Avenir de l'école ?, L'actualité juridique. Droit administratif n°18, 1er juin 2015
  • André Roux, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Eric Oliva, Laurent Domingo, Patrick Gaïa et Marc Guerrini, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel (20e édition), Dalloz, septembre 2022, pp. 403-416

Articles connexes[modifier | modifier le code]