Aktion Gitter

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L'Aktion Gitter, aussi appelée Aktion Gewitter (Action Tempête) ou Aktion Himmler, est une vague d'arrestations menée par la Gestapo après l'échec du complot du 20 juillet 1944 : les 22 et , d'anciens fonctionnaires et des élus de certains partis politiques de la République de Weimar sont arrêtés. Parmi eux, des sociaux-démocrates, des syndicalistes, des libéraux, des communistes, des membres du centre et du Parti populaire bavarois[1].

Contexte[modifier | modifier le code]

Cette opération d'arrestations en masse n'est pas une réaction spontanée du régime nazi face aux événements du , mais est planifiée, du moins dans ses grandes lignes : dès 1935-1936, les anciens dirigeants politiques de la République de Weimar figurent sur une liste dite A, classée en trois catégories, de A-1 à A-3.

Au printemps 1939, immédiatement après l'invasion de la République tchèque, la Gestapo a déjà arrêté des milliers de personnes dans le nouveau Protectorat de Bohême-Moravie lors d'une opération également appelée « Aktion Gitter (de) », ces personnes sont listées en catégorie A-1 comme « ennemis d'État » ; 2000 autres personnes sont arrêtées de façon conservatoire (Schutzhaft) au début de la guerre lors de l'opération Aktion Albrecht I. (de) et déportées au camp de concentration de Buchenwald. Certaines d'entre elles sont relâchées à l'été 1940[2],[3].

Le terme Aktion Gitter (Action Treillis, Action Grilles ou Barreaux) fait référence aux barreaux derrière lesquels les prisonniers sont enfermés.

Planification[modifier | modifier le code]

Dès , Adolf Hitler annonce que « si une mutinerie éclatait n'importe où dans le Reich aujourd'hui »[4], on répondrait par « des mesures immédiates » ; immédiatement après le début des troubles, tous les « dirigeants de courants d'opposition, y compris ceux du catholicisme politique, seront arrêtés à leur domicile et exécutés »[4], et de même, tous les détenus des camps de concentration devaient être abattus ainsi que tous les « criminels », qu'ils soient en détention ou en liberté.

Le , Heinrich Himmler est chargé d'emprisonner les anciens fonctionnaires du KPD et du SPD. Cette arrestation massive doit être effectuée indépendamment de leur activité ou non dans l'opposition et n'est pas liée à la recherche des conspirateurs du [5]. Dans un télex confidentiel du département IV du Reichssicherheitshauptamt expédié à tous les bureaux de la Gestapo du Reich allemand le , le chef de la Gestapo Heinrich Müller annonce que le « Reichsführer SS » Himmler ordonne une grande vague d'arrestations. Tous les anciens conseillers communistes et sociaux-démocrates du Reich, des Landtag et des villes ainsi que tous les anciens fonctionnaires syndicaux et fonctionnaires sociaux-démocrates doivent être arrêtés, « indépendamment du fait que quelque chose puisse être prouvé pour le moment ou non ». Seuls les plus de 70 ans, les malades et ceux qui ont fait preuve de leur fidélité au système doivent être épargnés. Les arrestations doivent avoir lieu dans tout le pays aux petites heures du jour du , les prisonniers étant immédiatement transférés au camp de concentration de niveau I le plus proche (« Pour tous les prisonniers avec les charges les moins graves et capables de s'améliorer ») ou dans une prison à proximité. Simultanément, la « garde à vue » (Schutzhaft) doit faire l'objet d'une demande au RSHA. En outre, les bureaux de la Gestapo sont tenus de signaler au RSHA avant le  : le nombre de personnes arrêtées, leur appartenance politique et leurs fonctions antérieures. Les ordres de Himmler prennent le nom de code « Aktion Gewitter ». Le RSHA n'inclut pas au départ les anciens membres des conseils d'arrondissement, ce ne sera le cas qu'après que certains bureaux de la Gestapo l'eurent demandé. Le , le mandat d'arrêt est étendu aux anciens députés du Parti du centre (Zentrum), mais partiellement annulé deux jours plus tard[6].

Déroulement[modifier | modifier le code]

Les arrestations débutent le matin et sont menées soit par la Gestapo seule, soit avec les forces de police locales. Leur nombre est estimé à 5000. La plupart des personnes arrêtées sont envoyées dans des camps de concentration : 650 personnes à Neuengamme, 742 à Buchenwald[7] et 860 à Dachau[8]. D'autres sont emmenées à la prison principale de la Prinz-Albrecht-Strasse à Berlin, et les femmes sont envoyées au camp de concentration de Ravensbrück. En raison de l'utilisation de critères purement formels et de listes obsolètes, de nombreuses personnes malades et âgées sont arrêtées alors qu'elles n'ont plus d'activité politique depuis plus de dix ans. Certaines des personnes arrêtées l'ont déjà été au début du régime national-socialiste, d'autres sont emprisonnées pour la première fois. Après que ces arrestations massives ont suscité un mécontentement dans la population, Ernst Kaltenbrunner ordonne une révision le , après quoi la vague d'arrestations reflue. Dans l'ensemble, ces actions du régime nazi sont restées des représailles - imprévisibles et contradictoires[9]. Nombre des personnes arrêtées sont libérées peu après.

Victimes[modifier | modifier le code]

Parmi les personnes arrêtées figurent Konrad Adenauer, Paul Löbe, Kurt Schumacher, Karl Arnold et Johanna Tesch. Adenauer est l'un de ceux mentionnés par le cardinal Frings dans une demande à son ami l'évêque Heinrich Wienken (de) d'intercéder le auprès du bureau principal du RSHA à Berlin[10].

Les anciens membres du Reichstag, Otto Gerig, Karl Mache (en), Heinrich Jasper (en), Theodor Roeingh (de), Johanna Tesch, Joseph Roth et le pédagogue réformateur de Hambourg Kurt Adams (de) n'ont pas survécu à l'emprisonnement en camp de concentration ou en sont morts. En raison des traitements inhumains dans les camps, beaucoup de ceux qui étaient encore en prison meurent avant l'hiver 1944-45. D'autres sont transférés dans d'autres camps de concentration à l'approche des troupes alliées, et beaucoup sont abattus lors des marches de la mort. D'autres font partie des 6 400 prisonniers qui ont péri lorsque les navires Cap Arcona et Thielbek, qui transportent environ 7 000 prisonniers des camps de concentration, sont coulés le .

Historiographie[modifier | modifier le code]

Hanna Gerig (de), veuve d'une des victimes de l'Aktion, écrit en 1973 :

« La campagne GEWITTER est un acte purement arbitraire, c'est la course-poursuite soudaine mais minutieusement menée par la Gestapo sur le territoire fédéral - à l'époque le territoire du Reich. »[11] ; « Peu d'historiens ont compris que cette action ne peut en aucun cas être automatiquement reliée à l'ACTION DU 20 JUILLET[12]... »

Sebastian Haffner déplore en 1978 un manque dans la recherche :

« L'action, inédite à l'époque, était étrangement ignorée dans les descriptions historiques ; elle est principalement mise en relation avec la persécution des conspirateurs du 20 juillet, avec laquelle elle n'a rien à voir. C'était plutôt le premier signe qu'Hitler voulait empêcher toute répétition de ce qu'il croyait être une fin prématurée de la guerre de 1918 : qu'il était déterminé à se battre jusqu'au bout même sans aucune chance de succès - selon ses mots : "jusqu'à midi cinq minutes" - et de ne laisser personne l'en empêcher[13]. »

L'historienne Stefanie Schüler-Springorum (en) constate en 2005 que l'Atktion Gitter n'a jusqu'à présent fait l'objet de recherches que de façon ponctuelle pour le nord de l'Allemagne[14]. En 2009, les recherches sur l'Aktion restent incomplètes[15].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. (de)Johannes Tuchel: Inferno und Befreiung: Die Rache des Regimes. In: Die Zeit. , Nr. 51, mis en ligne le
  2. Stefanie Schüler-Springorum: Masseneinweisungen in Konzentrationslager. In: Wolfgang Benz, Barbara Distel (Hrsg.): Der Ort des Terrors. Geschichte der nationalsozialistischen Konzentrationslager. Band 1: Die Organisation des Terrors. C.H. Beck, München 2005 (ISBN 3-406-52961-5), p. 162.
  3. Andrea Löw (Bearb.): Die Verfolgung und Ermordung der europäischen Juden durch das nationalsozialistische Deutschland 1933–1945. (Quellensammlung) vol. 3: Deutsches Reich und Protektorat Böhmen und Mähren, September 1939-September 1941. München 2012 (ISBN 978-3-486-58524-7), p. 638 en note de bas de page.
  4. a et b (de) Johannes Tuchel, « Die Rache des Regimes », sur Zeit Online, Source : DIE ZEIT 09.12.2004 Nr.51.
  5. (de) Stefanie Schüler-Springorum : Masseneinweisungen in Konzentrationslager. In: Wolfgang Benz, Barbara Distel (Hrsg.) : Der Ort des Terrors. Geschichte der nationalsozialistischen Konzentrationslager. Band 1: Die Organisation des Terrors. C. H. Beck, Munich, 2005 (ISBN 3-406-52961-5), p. 162.
  6. (de) Bundesarchiv Koblenz (BA) R 58/775. Zur Kategorisierung der Konzentrationslager: Nürnberger Dokument 1063-PS. In: Der Prozeß gegen die Hauptkriegsverbrecher vor dem Internationalen Militärgerichtshof Nürnberg. Vol. 27. Nuremberg, 1949, p. 695 et suiv.
  7. (de) Gedenkstätte Buchenwald, sur Stiftung Gedenkstätten, consulté le .
  8. (de) [PDF] Deutsche Regimegegner der „Aktion Gewitter“, sur Haus der Bayrischen Geschichte, consulté le .
  9. (en) Robert Loeffel: Family Punishment in Nazi Germany: Sippenhaft, Terror and Myth. Palgrave Macmillan, 2012 (ISBN 978-1-137-02183-0).
  10. (de) https://www.kas.de/c/document_library/get_file?uuid=16c07651-4c4c-414d-e000-eaf80d8b0ec9&groupId=252038
  11. (de) Steinbach, Tuchel (Hrsg.): Widerstand gegen den Nationalsozialismus. Bonn 1994 (ISBN 3-89331-195-5), pp. 392–383.
  12. (de) ACPD (Konrad-Adenauer-Stiftung), Nachlass Gerig, 01-088-001/3.
  13. (de) Sebastian Haffner: Anmerkungen zu Hitler. p. 188.
  14. (de) Stefanie Schüler-Springorum (en): Masseneinweisungen in Konzentrationslager. In: Wolfgang Benz, Barbara Distel (Hrsg.): Der Ort des Terrors. Geschichte der nationalsozialistischen Konzentrationslager. Vol 1: Die Organisation des Terrors. C.H. Beck, Munich, 2005 (ISBN 3-406-52961-5), p. 163.
  15. (de) Manuel Becker, Christoph Studt (Hrsg.): Der Umgang des Dritten Reiches mit den Feinden des Regimes. XXII. Königswinterer Tagung (Februar 2009). (= Schriftenreihe der Forschungsgemeinschaft 20. Juli 1944 e.V. Band 13). LIT Verlag, Münster, 2010 (ISBN 978-3-643-10525-7).