Schappe de Saint-Rambert

Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Schappe de Saint-Rambert
« La Schappe »
Vue d'une partie de l'« usine neuve » de la Schappe de Saint-Rambert (juillet 2014), (détruits aujourd’hui) .
Installations
Type d'usine
Filature
Fonctionnement
Opérateur
Société Alexandre Franc et Martelin fils
Société Franc père et fils et Martelin
Société anonyme de filature de la Schappe (SAF)
Burlington-Schappe-France
Effectif
(1912)
Date d'ouverture
1838
Date de fermeture
1986
Localisation
Situation
Coordonnées
Localisation sur la carte de l’Ain
voir sur la carte de l’Ain
Localisation sur la carte de France
voir sur la carte de France

La Schappe de Saint-Rambert était une filature de textile située à Saint-Rambert-en-Bugey, dans le département de l'Ain, en France. Usine-mère et fleuron de la Société Anonyme de Filature de la Schappe (SAF), le site sera entre autres un des plus gros centres mondiaux de l'industrie de la schappe[1]. Absorbée par le groupe Burlington en 1967, revendue 1 franc symbolique en 1981, l'usine sera entièrement détruite par un incendie inexpliqué dans la nuit du 24 au .

Historique[modifier | modifier le code]

La tradition textile à Saint-Rambert-en-Bugey[modifier | modifier le code]

Clef de voûte représentant une navette (Chapelle des tisserands de l'église de Saint-Rambert-en-Bugey, 1668).

Très pauvre en possibilité agricole[2], mais idéalement située à l'entrée de la cluse des Hôpitaux, sur la route de l'émigration temporaire des peigneurs de chanvre du Haut-Bugey (payés le plus souvent en nature)[3],[4], la région de Saint-Rambert possède dès la fin du XVIIe siècle une importante corporation de «marchands de toiles» et de «tissiers»[5]. Au XVIIe siècle, l'industrie textile prospère et la ville est reconnue pour l'excellente qualité de sa production de linge en toile de chanvre[5].

Au début du XIXe siècle, il existait, sans compter les métiers « temporaires », plus de 600 métiers à tisser permanents en activité dans le canton de Saint-Rambert[3], dont environ 140 pour la ville et ses hameaux[6]. En 1820, la première filature industrielle de la ville, qui emploie une centaine d'ouvriers, est créée par l'entrepreneur lyonnais Charles Lardin, une seconde en 1829 par le rambertois Joseph Déromas dont la filature utilise l'énergie hydraulique de l'Albarine, grâce à un canal alimentant une roue à aubes[6].

Création de la SAF[modifier | modifier le code]

Une action de la Société anonyme de filature de la Schappe

Vers 1837, les négociants Aimé Martelin, de Saint-Rambert et Antoine-Alexandre Franc, de Lyon, forment le projet de reprendre l'usine en inactivité de Joseph Déromas[6], la plus ancienne des filatures industrielles de schappe[7].

En novembre 1838, Benoit Martelin, fils d'Aimé, s'associe à Alexandre Franc pour créer la société « Alexandre Franc et Martelin fils » dont le but est la filature de laine, de thibet et de frisons de soie[6]. Victor Franc, fils d'Alexandre, les rejoint en 1843 pour former la société « Alexandre Franc père et fils et Martelin »[6].

En 1885, la société Franc et Martelin fusionnent avec la société des frères Hoppenot de Troyes, précurseurs dans la filature des déchets de soie, pour former la SAF (Société Anonyme de Filature de la Schappe), au capital de 7 500 000 Francs et dont le siège social se situera à Lyon[8]

La SAF, plus couramment appelée « La Schappe », possédera notamment des ateliers et filatures à Saint-Rambert-en-Bugey, Ambérieu-en-Bugey, Le Vigan, Pont-d'Hérault, Entraigues-sur-la-Sorgue, Pierre-Bénite, Lyon, Amplepuis, Troyes, La Croix-aux-Mines, en Suisse à Kriens et Emmenbrücke, en Italie à Rozzano, ainsi qu'une annexe à Moscou et des intérêts aux États-Unis[6].

Le site de Saint-Rambert[modifier | modifier le code]

Un exemplaire de Mule-jenny datant de 1825 (Musée de la Filature des Calquières).

En 1839, l'entreprise emploie 160 ouvriers et 16 machines à filer[6] mule-jenny[9] fonctionnant à l'énergie hydraulique. La vapeur fait son apparition dans l'entreprise vers 1843[6]

Entre 1860 et 1870 la filature, qui emploie alors plus de 600 ouvriers et fait fonctionner 5000 broches[10], s'équipe des meilleures machines sur le marché, notamment de la « peigneuse circulaire Quinson », brevetée en mars 1856. Cette peigneuse circulaire, permettant entre autres de fabriquer un fil de schappe de meilleure qualité et inventée à Tenay par Frédéric Quinson[7] marque le véritable point de départ de l'industrie de la schappe[1].

Cette industrie bénéficie également grandement de l'accès au marché des déchets de soie chinois, japonais et indien grâce à l'ouverture du canal de Suez en 1859 et de la crise de la soie, due en partie aux ravages de la pébrine.

Périodes et événements marquants de la Schappe à Saint-Rambert[modifier | modifier le code]

L'immigration italienne[modifier | modifier le code]

Ouvrières à l'entrée de la filature

En 1875, Athanase Martelin fait venir à Saint-Rambert une cinquantaine de jeunes Piémontaises, avant-garde d'une immigration qui se développera tout au long de l'expansion de l'entreprise pour concerner environ 700 personnes en 1914[6]. Vers 1888, la Schappe de Saint-Rambert emploie déjà environ un tiers d'Italiennes dans ses nouvelles usines[11]. Le recrutement se fait tout d'abord dans les localités proches de Rozzano, dans la province de Pavie où la société de la Schappe possède une grande fabrique de même activité et où il est aisé de trouver la main-d’œuvre féminine dont elle a besoin[12], puis s'étend aux régions du Canavèse, de la vallée d'Aoste, du val de Suse ou du Montferrat

  • La plupart de ces migrants arrivent à pied par le col du Mont-Cenis, « portant leurs chaussures pour ne pas les user »[6].

À la fin du XXe siècle, la majorité des familles rambertoises comptait un ou plusieurs grands-parents italiens dans leur généalogie[6].

La grève de 1933[modifier | modifier le code]

La «passerelle», prise d'eau sur l'Albarine

La grande grève de 1933 est l'une des grèves les plus importantes de France pour la période considérée. Elle a pour origine l'application dans l'usine du «système Bedaux», inspiré des méthodes du taylorisme, qui instaure des cadences intensives. Le mouvement spontané et apolitique dû à l'épuisement des ouvrières débute le . Il s’étend rapidement aux 1100 ouvriers du site et reçoit le soutien de la Confédération générale du travail[Note 1]. La direction refusant de renoncer au système Bedaux, le conflit s'enlise, malgré l'intervention de la préfecture et du ministère du travail.

Le , Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, accompagné du chef de cabinet de l'organisation internationale du travail attire 3000 personnes sur la place de Saint-Rambert lors d'un meeting en faveur des grévistes. Ce soutien de poids infléchit la position de la direction qui, sans renoncer au système, accepte d'en assouplir les modalités et s'engage à ne pas procéder à des licenciements pour fait de grève. À bout de ressources, les ouvriers votent la reprise du travail le . La grève a duré 52 jours et aura pour conséquence, en 1935, l'éviction du maire sortant et directeur de la Schappe Henry Franc au profit du docteur Michel Temporal, qui avait démissionné de son poste de premier adjoint pendant la grève, pour protester contre la situation[6], ainsi que l'adhésion d'environ 900 ouvriers au syndicat[13].

Seconde Guerre mondiale : le 7 juillet 1944[modifier | modifier le code]

Le , quelques instants avant l'attaque du train blindé

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Schappe de Saint-Rambert est la plus grande filature de la zone libre[6]. La région de Saint-Rambert-en-Bugey abrite alors plusieurs groupes de résistants qui, à l'approche du débarquement, sabotent régulièrement la voie ferrée traversant la cluse des Hôpitaux. Le , au cours de l'attaque d'un train blindé, 6 soldats allemands sont tués et une patrouille allemande est attaquée dans la ville.

Le , une trentaine de camions, assistés de motocyclistes et d'automitrailleuses, pénètrent la vallée de l'Albarine. La Wehrmacht et la Gestapo, épaulées par la milice, investissent la ville. Après une brève tentative de résistance devant le bâtiment du peignage, les maquisards doivent décrocher devant des centaines de soldats. Des barrages sont établis par les nazis aux entrées de la ville où de nombreuses personnes sont arrêtées[14].

Les bâtiments du peignage aujourd'hui (2014).

À 14 h 30, la filature est investie par les Allemands qui pensent que des « terroristes » ont pris position dans les locaux. Plus de 250 ouvriers présents dans la filature sont parqués, les mains en l'air, dans une cour de l'usine, où ils resteront jusqu'à 22 h. Le poste de commandement allemand est installé dans la maison du concierge, où se déroulent des interrogatoires musclés. Ainsi messieurs Bérard (directeur général), Renant (directeur du peignage) et Bellœuf (magasinier) sont brutalisés à coups de bâton par des hommes du PPF aux ordres des Allemands[15]. La tension arrive à son comble quand un soldat allemand, caché depuis les attaques de la veille et à l'insu de tous dans la filature, fait son apparition. Un gradé lui propose alors de se venger en abattant des ouvriers, ce que l'homme refuse, arguant que personne ne lui a fait de mal. À 20 h 30, alors que la fouille se poursuit, la tension retombe légèrement lorsque le capitaine remarque la présence dans l'usine de machines d'origine allemande, achetées avant-guerre, et dont le directeur vante habilement la qualité afin de l'amadouer[14].

Après de longues heures de terreur, les Allemands se retirent vers 22 h, après avoir abattu près du transformateur, le chauffeur de taxi André Rigaud, arrêté dans la journée à un barrage (et soupçonné d'être au service du maquis)[15] et qui avait été interné et passé à tabac à la Schappe. Marius Durochat est également abattu en rentrant chez lui dans la soirée[15]. Les ouvriers apprendront après leur libération que les Allemands ont exécuté douze otages en ville, au nombre desquels figure « leur » maire, le docteur Michel Temporal[14].

1951: Roger Vailland et Beau masque[modifier | modifier le code]

L'horloge intérieure. Mai 2017.
Usine de filature des années 1970

En 1951, Roger Vailland, installé au hameau des Allymes sur les hauteurs d’Ambérieu-en-Bugey, se lance dans une série de reportages sur l’industrie textile de la vallée de l’Albarine, dont il trouve l'histoire « politiquement formidable, pittoresque par ailleurs et (touchant) tous les plans de l'actualité ». S'appuyant sur le livre d'or de la «SIS» (Société concurrente de la SAF et dont l'usine-mère se situe à Tenay, à moins de 10 km de Saint-Rambert), qui démontre selon lui l'exactitude des thèses du «Capital» et sur le témoignage d'ouvriers et d'ouvrières de la « vallée de la misère », Vailland produit quatre articles («Une histoire de brigand»; «Ronchaud ou les infortunes de la vertu»; «La sonnette de Mlle Franc»; «La Schappe contre les Français») qui paraissent dans les éditions dominicales des journaux «les Allobroges», «la République de Lyon» et «le Patriote de Saint-Étienne».

De cette expérience naîtra le roman Beau masque et la figure de la « femme nouvelle », Pierrette Amable, inspirée librement du personnage de Marie-Louise Mercandino, syndicaliste à la Schappe et camarade de combat de l'écrivain-militant[16].

Lorsqu'au début des années 1970 Bernard Paul voudra adapter le roman pour le cinéma, ni la Schappe, ni aucune des filatures de France n'accepta que le tournage ne se déroule dans ses locaux et il fallut trouver une autre région ouvrière pour en reconstituer une. Le choix de Bernard Paul se fixa sur l’est de la France. Seules les scènes champêtres furent tournées à Blanaz, un hameau de Saint-Rambert[17].

Burlington[modifier | modifier le code]

Logo de la marque Burlington
Bobines de fibres en Dacron

Entamé en 1955, le rapprochement de la SIS et de la SAF se conclut en 1962 par la création d'une holding regroupant toute l'industrie de la schappe européenne. En 1967, la holding SAS est absorbée par le plus gros groupe mondial de l'industrie textile, l'américain Burlington. À Saint-Rambert, l'usine du «peignage» est abandonnée (Elle sera reprise par la fabrique de meubles Roset) et l'activité concentrée dans l'«usine-neuve». En 1974, l'usine emploie 374 personnes, dont 299 ouvriers schappistes. La mise au point des nouveaux produits et la formation continue se fait sur le site de Saint-Rambert, où se situe également le laboratoire d'analyse. On y travaille le nylon (dès 1954), le tergal («tergal-laine», «tergal-lin», «tergal-viscose»), l'orlon, le dacron («dacron-laine») ainsi que des fils métalliques. Par ailleurs, les liens de l'entreprise et de la ville disparaissent peu à peu: les biens immobiliers de la Schappe commencent à être vendus, notamment les châteaux et villas des anciens directeurs et les maisons des contremaîtres.

Bibliographie[modifier | modifier le code]

[18],[19]

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Malgré ses efforts, la CGTU (communiste) ne parviendra pas à s'immiscer dans le conflit.

Références[modifier | modifier le code]

  1. a et b Aulagnier Fernande, « L'industrie de la schappe : indications générales sur l'histoire de la schappe et sur le traitement de cette matière textile », L'information géographique, vol. 11, no 1,‎ , p. 37-38 (lire en ligne, consulté le ).
  2. Marc Perrot, Saint-Rambert-en-Bugey et la vallée de l'Albarine sous l'ancien régime : XVIIe-XVIIIe, , 73 p. (présentation en ligne).
  3. a et b Abel Chatelain, « L'émigration temporaire des peigneurs de chanvre du Jura méridional avant les transformations des XIXe et XXe siècles. », Les Études rhodaniennes., vol. 21, nos 3-4,‎ , p. 166-178 (lire en ligne, consulté le ).
  4. « Peigneurs de chanvre, un métier disparu », Rencontres de l'Ain (consulté le ).
  5. a et b Joseph Tournier, La Ville de Saint-Rambert aux XVIIe et XVIIIe siècles : Esquisses historique, Belley, Imprimerie Louis Chaduc, , 176 p., In-8° (lire en ligne), « Marchands toiliers et tissiers », p. 56-60.
  6. a b c d e f g h i j k l et m Georges Martin (préf. Florence Beaume, directrice des archives départementales de l'Ain), La Schappe de Saint-Rambert : une aventure industrielle, Bourg-en-Bresse, Musnier Gilbert éditions (M&G), coll. « Ainventaire », , 154 p. (ISBN 978-2-910267-73-5, présentation en ligne).
  7. a et b Jean-Jacques Boucher, Arts et techniques de la soie, Paris, Fernand Lanore, coll. « Projet associé Routes de la Soie-UNESCO », , 225 p. (ISBN 2-85157-140-0, lire en ligne), p. 66.
  8. « Patrimoine industriel aubois: La Filature Hoppenot, Troyes », CNDP (consulté le ).
  9. Informations lexicographiques et étymologiques de « mule-jenny » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
  10. « Archives : filature Franc et Martelin, 1830-1886, répertoire numérique détaillé établi par Brigitte Pipon sous la direction de Georges Cuer », sur cdg69.fr, Département du Rhône, (consulté le ).
  11. Bertrand Blancheton et Jérome Scarabello, « L’immigration italienne en France entre 1870 et 1914 », Cahiers du GREThA, Université Montesquieu Bordeaux IV, nos 2010-13,‎ , p. 7 (présentation en ligne, lire en ligne, consulté le ).
  12. [PDF]Caroline DOUKI, « Entre discipline manufacturière, contrôle sexué et protection des femmes : Recrutement, encadrement et protection des jeunes migrantes italiennes vers les usines textiles européennes (France, Suisse, Allemagne) au début du XXe siècle », Migrations société, Centre d'Information et d'études sur les migrations internationales, vol. 22, no 127,‎ , p. 101 (lire en ligne, consulté le ).
  13. « À Saint-Rambert-en-Bugey, les soyeux en grève affirment leur volonté de lutte », Le Populaire, Parti socialiste (Paris), no 3866,‎ , p. 1-2 (lire en ligne, consulté le ).
  14. a b et c Jacqueline Di Carlo, La guerre de 1939-1945 dans le canton de Saint-Rambert-en-Bugey, épisodes, District de la vallée de l'Albarine, (ISBN 2-907881-12-4 et 9782907881128).
  15. a b et c Le Livre noir des crimes nazis dans l'Ain pendant l'Occupation, Édition du Bastion, , 132 p. (ASIN 2745503030, présentation en ligne), p. 91-92.
  16. « Roger Vailland aux Allymes dans le Bugey », sur terresdecrivains.com, (consulté le ).
  17. Françoise Arnoul et Jean-Louis Mingalon, Animal doué de bonheur, Paris, Éditions Belfond, , 245 p. (ISBN 2-7144-3244-1, présentation en ligne).
  18. Péguy Ch.-P, « L'industrie françaises des déchets de soie », Revue de géographie alpine, vol. 32, no 2,‎ , p. 307-314 (lire en ligne, consulté le ).
  19. « Musée des Traditions Bugistes », sur ain-tourisme.com (consulté le ).

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Articles connexes[modifier | modifier le code]