Sœur Odile

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Sœur Odile
Description de l'image Nadine Loubet.png.

Nadine Loubet

Alias
Sœur Odile
Naissance
Saint-Girons (France)
Décès (à 78 ans)
Lobos, Argentine
Nationalité Française
Profession
Religieuse dominicaine (Congrégation Sainte-Catherine de Sienne)
Autres activités
Résistante contre le régime d'Augusto Pinochet

Nadine Loubet, mieux connue sous le nom de Sœur Odile, est une religieuse-ouvrière dominicaine française née le 12 octobre 1931 à Saint-Girons et morte le 22 avril 2010 à Lobos. Sa vie est marquée par son engagement dans la résistance au régime dictatorial d'Augusto Pinochet (1973-1990) depuis les quartiers périphériques de Santiago au Chili. Liée aux milieux proches de la Théologie de la Libération, elle s'implique dans différentes organisations de résistance, participe à des missions de sauvetage visant à mettre à l'abri des personnes persécutées ainsi qu'aux manifestations du Mouvement Contre la Torture Sébastian Acevedo[1],[2].

Biographie[modifier | modifier le code]

Née le 12 octobre 1931 à Saint-Girons (Ariège), Nadine grandit dans une famille catholique de l'Ariège. À la suite de la Seconde Guerre mondiale et du procès du père de famille jugé pour collaboration, les Loubet s'exilent en Amérique latine. Après l'installation de la famille en Argentine, Nadine arrive en Uruguay où elle devient une religieuse dominicaine de la Congrégation Sainte-Catherine de Sienne. Elle enseigne au sein des collèges de la capitale uruguayenne de Montevideo, avant d'être nommée responsable d'une communauté de sa congrégation à Barrancas (Santiago, Chili), à la fin de l'année 1964.

À Santiago, Sœur Odile sort des couvents et des collèges de sa congrégation pour rencontrer et s'insérer dans "l'univers pobladores", celui des quartiers pauvres et marginaux de la ville. Le Chili traverse alors une période de profonds bouleversements : sur le plan politique, on assiste d'abord à la "révolution en liberté" promue par la démocratie-chrétienne d'Edouardo Frei puis à l'avènement au pouvoir de la coalition de gauche de l'Unité Populaire portée par Salvador Allende (1970-1973) ; tandis que de profonds bouleversements religieux sont provoqués par le Concile Vatican II et la Conférence de Medellín de l'épiscopat latino-américain. Installée au Montijo dans la Zone Ouest de Santiago, Sœur Odile s'inscrit dans le courant libérateur de l'Église chilienne aux côtés des nombreux prêtres et religieuses chiliens et étrangers installés dans la capitale, portant une option préférentielle pour les pauvres[3].

Le 11 septembre 1973, elle vit le coup d'État militaire des forces armées chilienne depuis la commune de Pudahuel dans la Zone Ouest de Santiago. Cet événement traumatique pousse la Sœur française à prendre la plume pour raconter l'installation au pouvoir de la Junte militaire soutenue par les États-Unis (cf. ci-dessous)[4]. L'Ariégeoise s'engage alors dans la résistance, qu'elle ne quittera pas pendant les dix-sept années de dictature. Dès la soirée du 13 septembre 1973, elle accueille un réfugié brésilien blessé par balles dans son habitation, puis l'aide à quitter le pays[4]. Durant les premiers mois du régime militaire, elle participe également à des opérations de sauvetage visant à mettre à l'abri des personnes persécutées dans les ambassades de la capitale, accompagnée d'autres prêtres et religieuses. L'ambassadrice française Françoise de Menthon la cite à plusieurs reprises dans ses carnets, la nommant "Soeur O." pour la protéger[5]. Elle fut également une membre active du Mouvement Sebastian Acevedo Contre la Torture (MCTSA)[1], créé en 1983 pour dénoncer l'utilisation massive de la torture au Chili et apparaît sur de nombreux clichés pris à cette époque. Son engagement dans la résistance au régime la met en danger et entraîne notamment une tentative d'assassinat perpétrée en 1986, alors qu'un jeune homme s'introduit chez elle et lui assène plusieurs coups de couteau[2].

Elle s'engage aux côtés des pauvres et des persécutés jusqu'à la fin de la dictature de Pinochet, en 1990. Elle reste au Chili jusque dans les années 2000, avant de retourner en Argentine où elle décède le 22 avril 2010. Elle est enterrée dans la ville de Lobos[3].

Ses carnets[modifier | modifier le code]

Carnets de Nadine Loubet, rédigés durant les premiers mois de la dictature chilienne.

À la suite du coup d'État, Sœur Odile commença à écrire pour témoigner de son quotidien et de l'horreur de la dictature naissante. Dans les premiers mois consécutifs au golpe, elle rédigea ainsi deux carnets Clairefontaine qui constituent une source historique de premier ordre pour appréhender la répression dans les quartiers populaires de la capitale chilienne, la résistance de réseaux chrétiens et les divisions internes à l'Église chilienne[2]. Nadine fit le choix de les sortir du pays par l'intermédiaire d'un prêtre salésien Fidei Donum, expulsé du Chili en octobre 1974[2] avant de les récupérer quelques années plus tard. Ils constituent la base du documentaire Au nom de tous mes frères consacré à Sœur Odile.

Redécouverte du parcours de Nadine Loubet[modifier | modifier le code]

Le parcours de Nadine Loubet a été mis en lumière grâce au film documentaire Au nom de tous mes frères (2019), réalisé par Samuel Laurent Xu et distribué par le Centre Audiovisuel Simone de Beauvoir[6],[7],[8]. Basé sur les carnets de Sœur Odile et sur des entretiens avec plusieurs femmes l'ayant côtoyé au Chili, le film raconte l'engagement de la religieuse française pour les droits humains et contre la dictature, aux côtés de plusieurs autres femmes et des classes laborieuses[9],[10].

Le constat d'invisibilisation des femmes religieuses et laïques dans la mémoire de la résistance chilienne a entraîné la réalisation d'une enquête historique consacrée à Sœur Odile et aux femmes de l'ombre des résistances clandestines au régime civilo-militaire entre 2020 et 2023[2],[11]. Ses résultats ont été publiés dans l'ouvrage Des femmes contre Pinochet. Odile Loubet et les résistantes de l'ombre (Chili, 1973-1990), paru en juillet 2023 aux éditions Karthala (collection Signes des Temps)[12].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « Sœur ODILE, née LOUBET Nadine - Maitron », sur maitron.fr (consulté le )
  2. a b c d et e Samuel Laurent Xu, « Raconter l’histoire du coup d’État depuis les poblaciones : le témoignage inédit d’une religieuse française à Santiago (Chili, 1973-1974) », Histoire Politique. Revue du Centre d'histoire de Sciences Po, no 47,‎ (ISSN 1954-3670, DOI 10.4000/histoirepolitique.7743, lire en ligne, consulté le ).
  3. a et b Lucienne Gouguenheim, « Odile (Nadine Loubet), la sœur du peuple qui souffre | NSAE » (consulté le )
  4. a et b Samuel LX, « Une religieuse française face au coup d'État (Chili, 11 septembre 1973) », sur Mediapart (consulté le ).
  5. Françoise Menthon, Je témoigne, Québec 1967, Chili 1973, Cerf, (ISBN 2-204-01420-6 et 978-2-204-01420-5, OCLC 6917145, lire en ligne)
  6. « Au nom de tous mes frères - Samuel LAURENT XU - 2019 - DIAZ », sur Au nom de tous mes frères - Samuel LAURENT XU - 2019 - DIAZ (consulté le )
  7. « Au nom de tous mes frères », sur Cinéma Paris - Luminor Hôtel de Ville (consulté le )
  8. (es) « En nombre de todos mis hermanos - Conectados con la Memoria » (consulté le )
  9. Maison de l'Amérique Latine, « Au nom de tous mes frères - Agenda », sur Maison de l'Amérique Latine (consulté le )
  10. Patricio Paris, « CHILI / Projection du film "Au nom de tous mes frères" de Samuel Laurent Xu », sur Mediapart (consulté le )
  11. (es) « “En nombre de todos mis hermanos”, o cómo salvar a una mujer (de tantas) del olvido. Por María Reyes Razeto », sur Le Monde diplomatique, (consulté le )
  12. « Des femmes contre Pinochet. Odile Loubet et les résistantes de l'ombre (Chili 1973-1990) », sur Karthala (consulté le )