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Tribunal indigène (empire français)

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Dans l'empire colonial français, un tribunal indigène est un organe du droit colonial français chargé de juger les affaires n'impliquant pas de colons. En principe, ces tribunaux sont censés appliquer le droit autochtone de chaque société dans laquelle ils s'insèrent. En pratique, tous les spécialistes s'accordent sur le caractère expéditif et arbitraire de ces tribunaux, qui sont soigneusement évités par les gens autochtones. Cette juridiction est instaurée par décret à Madagascar en 1898[1], en Afrique-Occidentale française en 1905 et en Afrique-Équatoriale française en 1910[2]. Elle est organisée en quatre niveaux, avec à la base les chefs que l'administration choisit, puis en deuxième et troisième niveaux des juges français. Le pouvoir accordé à ces juges est sans commune mesure avec la métropole, puisqu'un tribunal indigène est généralement composé d'un seul juge, avec toutes les latitudes. La cassation, en dernier recours, est faite à Paris. Les peines prononcées sont à 95 % carcérales, créant un système de prisons d'ampleur. Un pourcent des condamnés est tué en application de la peine de mort. Entre 1921 et 1931 en Afrique-Occidentale, 180 personnes sont tuées sur ordre des tribunaux « indigènes » pour anthropophagie, alors qu'aucune preuve scientifique n'indique que de telles pratiques aient eu cours. Ces procès et ces morts servaient en fait à donner en spectacle la mission civilisatrice de la France, qui a très souvent caractérisé les peuples autochtones comme des cannibales[3]. Au Soudan, les juges français sont d'avis que le droit local interdit aux femmes autochtones de quitter le domicile de leurs maris, et leur ordonne donc d'y retourner sans exceptions[4].

En 1905, l'administrateur Ernest Roume lance une enquête sur le droit autochtone visant à codifier les différentes pratiques, mais ce projet n'avança pas jusqu'à ce qu'il soit relancé en 1931 par l'administrateur Jules Brévié. Cent ving-huit codes furent rédigés à partir de questionnaires remplis par des fonctionnaires, codes qui ne furent jamais en pratique jamais utilisés par les tribunaux, et relégués dans l'oubli au moment des décolonisations[5].

Ce système de « justice indigène » coloniale est distinct en principe du régime de l'indigénat: les sanctions prises en vertu du Code de l'indigénat sont décidées par les gouverneurs, sans procès, afin de discipliner les résistants autochtones. Dans les faits, la connivence et les relations de pouvoir entre magistrats et administrateurs (qui choisissent notamment les assesseurs) font que les deux systèmes de punition jouent simultanément[6].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Fara Aina Razafindratsima, « Le magistrat français au carrefour de deux systèmes juridiques : un double rôle dans la distribution de la justice indigène à Madagascar », Clio@Themis. Revue électronique d'histoire du droit, no 4,‎ (ISSN 2105-0929, DOI 10.35562/cliothemis.1373, lire en ligne, consulté le )
  2. Étienne Le Roy, « In ordinem adducere ou comment tenter d’imposer par le droit “ la ” civilisation. La mise en ordre de la “ justice des indigènes ” et le discours juridique colonial en Afrique noire française », Droits, vol. 43, no 1,‎ , p. 199–220 (ISSN 0766-3838, DOI 10.3917/droit.043.0199, lire en ligne, consulté le )
  3. Thaïs Gendry, « Le cannibale et la justice: De l’obsession coloniale à la mort pénale (Côte d’Ivoire et Guinée française, années 1920) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. N° 140, no 4,‎ , p. 55–68 (ISSN 0294-1759, DOI 10.3917/ving.140.0055, lire en ligne, consulté le )
  4. Marie Rodet, « « Le délit d'abandon de domicile conjugal » ou l'invasion du pénal colonial dans les jugements des « tribunaux indigènes » au Soudan français, 1900-1947 », French Colonial History, vol. 10, no 1,‎ , p. 151–169 (ISSN 1543-7787, lire en ligne, consulté le )
  5. Jacques Poumarède, « Exploitation coloniale et droits traditionnels », dans Itinéraire(s) d’un historien du Droit : Jacques Poumarède, regards croisés sur la naissance de nos institutions, Presses universitaires du Midi, coll. « Méridiennes », , 199–205 p. (ISBN 978-2-8107-1009-6, lire en ligne)
  6. Bénédicte Brunet-La Ruche et Laurent Manière, « De l’« exception » et du « droit commun » en situation coloniale : l’impossible transition du code de l’indigénat vers la justice indigène en AOF », dans Droit et Justice en Afrique coloniale : Traditions, productions et réformes, Presses universitaires Saint-Louis Bruxelles, coll. « Travaux et recherches », , 117–141 p. (ISBN 978-2-8028-0436-9, lire en ligne)

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Silvère Ngoundos Idourah, Colonisation et confiscation de la justice en Afrique: l'administration de la justice au Gabon, Moyen-Congo, Oubangui-Chari et Tchad, de la création des colonies à l'aube des indépendances, l'Harmattan, (ISBN 274751093X)
  • (en) Karine Marazyan, « Documenting Interpersonal Conflict in Senegal during the First Quarter the Twentieth Century », Histoire & mesure, vol. XXXVII, no 2,‎ , p. 213–242 (ISSN 0982-1783, DOI 10.4000/histoiremesure.16761, lire en ligne)